Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/327

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qui n’ont peut-être pas été suffisamment aperçues. D’abord Kant, en dressant la table des catégories : catégorie de la quantité, catégorie de la qualité, catégorie de la relation, catégorie de la modalité, a oublié de mettre en évidence l’idée d’être. Leibniz avait dit : « Il y a de l’être dans chacune de nos pensées. » Kant ne s’est pas souvenu de cette formule quand il a voulu épuiser, dans la table des catégories, le contenu de l’entendement. Cela tient à la méthode vicieuse qu’il a suivie pour dresser la liste des catégories. Il a voulu, pour ne pas procéder au hasard, dresser la table des catégories d’après la table des jugements, et comme les jugements se ramènent à quatre titres : quantité, qualité, relation, modalité, c’est à ces quatre titres aussi qu’il a ramené tout l’entendement. Seulement, le jugement n’est qu’une liaison de termes ; il se borne à exprimer cette liaison, et il ne met nulle part en évidence l’idée d’être qui est contenue aussi bien dans chacun des deux termes que dans leur liaison. Le verbe est qui relie, dans les jugements, l’attribut au sujet, n’exprime pas proprement l’idée d’être, mais seulement la relation de l’attribut au sujet. Lors donc que Kant prenait la table des jugements comme table indicative de l’entendement, il prenait l’entendement tout entier moins l’idée d’être, c’est-à-dire, pour détourner un mot de Leibniz, moins l’entendement lui-même.

En second lieu, Kant, ayant éliminé l’idée d’être et ne sentant pas l’être en chacune de nos pensées, ne pouvait plus sentir l’affinité profonde qui existe, par l’être, entre une conscience et les autres consciences. Il ne retrouvait pas, dans le particulier, un fond universel et, par là même, il ne pouvait universaliser la