Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/342

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dans la sensibilité et qu’ils ne sont possibles que par elle, sous le rapport de la forme. »

Sans doute, ici même, Kant n’affirme pas expressément qu’il y a un lien nécessaire et intelligible entre les catégories diverses de l’entendement et l’unité primitive de l’aperception. Mais il sous-entend la difficulté, ou plutôt il nous donne comme une impression générale de liaison et d’unité. Les catégories sont enveloppées dans l’unité de l’aperception ; l’entendement se confond avec cette unité, et, des règles de l’entendement, les lois les plus particulières de la nature dérivent nécessairement. Le monde semble donc être donné ici, sans que Kant le dise formellement, comme un vaste système déductif, où l’unité primitive de la conscience engendrerait jusqu’au dernier des phénomènes. Kant prétendait-il, dans cette première rédaction, nous dissimuler la difficulté insoluble qu’il avoue dans la seconde ? Assurément non ; il avait dans l’esprit autant de loyauté que de vigueur. Sans doute, il se la dissimulait involontairement à lui-même ; mais elle a apparu violemment, et il semble que, dès lors, malgré les efforts de Kant, le monde des phénomènes échappe aux prises de l’entendement et de la conscience. D’abord la matière empirique est donnée avant l’action de l’entendement, et, ensuite, cet entendement est pour nous une puissance arbitraire ; il ne se rattache pas par un lien nécessaire et interne à l’unité de la conscience. Dès lors, les rouages ne s’engrènent plus ; chacun d’eux tourne dans le vide, et le monde fuit dans un désordre éternel. C’est que seule l’idée d’être pouvait, de la sensation à l’entendement et à la conscience, établir une profonde unité, et l’idée d’être est absente de la philosophie de Kant. Pourquoi voyons--