Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/343

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-nous, dans le rapport de cause à effet, autre chose qu’un rapport arbitraire de succession ? Parce que, dans le rapport de cause à effet, nous entrevoyons une action. Or, qu’est-ce que l’action ? Il y a action lorsqu’une portion de l’être transmet la forme qui la détermine à une autre portion de l’être. Pour qu’il y ait action, il faut donc qu’il y ait communication possible de l’être à l’être, c’est-à-dire unité essentielle de l’être. Mais aussi, aussitôt que deux portions de l’être, déterminées par telle ou telle forme, sont mises en état, par contiguïté, d’agir l’une sur l’autre, l’action se produit nécessairement. Et comme l’être ne change pas en son fond, quand la forme qui le détermine est la même aussi, l’action est la même et l’effet est le même ; il est le même nécessairement et en vertu du seul principe de contradiction, qui n’est que la formule logique de l’être. Dès lors, on comprend que la conscience, qui est l’unité de l’être anticipée, se serve, pour ramener à l’unité la dispersion des phénomènes, de la catégorie de cause, qui n’est que cette unité de l’être affirmée par l’action. Et l’on comprend aussi que les phénomènes se prêtent à cette unité de la conscience et de l’entendement, puisqu’ils sont tous des déterminations intelligibles de l’être. Du même coup se trouve résolue une difficulté suprême de la philosophie kantienne, à laquelle Kant n’a même pas touché. Il dit toujours : « Il faut que la diversité sensible soit ramenée à l’unité de la conscience par l’entendement, pour que l’expérience soit possible. » Mais en quoi donc est-il nécessaire que l’expérience soit rendue possible ? Pourquoi notre vie ne serait-elle pas simplement une fantasmagorie de représentations décousues ? Sans y prendre garde, Kant, ici, introduit comme une tentation de finalité : c’est sur un désir inaperçu