Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/349

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et la sensation qui l’occupe, il n’y a, au point de vue du degré de la sensation, aucune relation, au moins dans la doctrine de Kant ; l’espace est, pour Kant, l’image de la quantité extensive seule ; le degré de la sensation est une quantité intensive. Comment la quantité purement extensive pourrait-elle fournir un terme et un moyen de mesure à la quantité intensive décroissante ? La vérité est que la sensation, qui est l’être déterminé, a pour limite l’indétermination de l’être ; mais l’être est toujours au fond, et comme il porte en lui-même le ressort par où il passe éternellement de l’indétermination à la détermination, entre la sensation qui le détermine et l’espace, supposé vide, qui représente son indétermination, il n’y a point une rupture profonde de continuité. Donc, la quantité intensive elle aussi suppose l’être et l’espace ; et l’espace, apparaissant comme l’image complète de la quantité, a une pleine réalité.

Nous avons pu préciser et affirmer notre théorie de l’espace en l’éprouvant à la critique de Kant ; il est aisé de pressentir en quoi nous différons de Leibniz, en quoi nous nous rapprochons de lui. Leibniz, suivant l’expression de Kant, intellectualise les phénomènes. L’espace étant pour Leibniz un phénomène, il l’intellectualise. L’espace n’est donc pas pour lui une forme arbitraire et subjective de la sensibilité humaine. Il exprime, il représente l’ordre dans le commerce des substances, il traduit donc confusément mais exactement des idées de l’entendement conformes à la réalité des choses. C’est bien là, comme on le voit, la direction générale de notre pensée. Mais Leibniz n’attribue à l’espace ni sa valeur exacte, ni toute sa valeur ; c’est que Leibniz n’accorde de réalité qu’au simple et à l’interne. Or, l’espace lui apparaît comme le composé