Aller au contenu

Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/352

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nations. Mais, enfin, elles n’ont pas encore la précision de l’acte. Qu’est-ce à dire ? C’est qu’elles ne sont pas aussi parfaitement harmonisées à la forme essentielle de la monade qu’elles le seront lorsqu’elles passeront à l’acte. Par exemple : toutes les pensées que j’évoque et que j’ordonne en ce moment, selon les lois générales de l’intelligence humaine et la forme propre de mon esprit, je ne les crée pas ; elles sommeillaient en moi, elles y étaient déjà, mais elles n’y étaient pas, comme maintenant, à l’état de conformité stricte avec le type de mon esprit, avec l’unité essentielle de la monade pensante que je suis ; elles y étaient à l’état d’incohérence relative et de dispersion, c’est-à-dire à l’état de matière. Or, si la forme propre de la monade peut agir ainsi sur une matière interne et se l’assimiler, pourquoi n’agirait-elle point sur la même matière, dans une autre monade ? Remarquez bien qu’ici les mots interne et externe sont purement métaphoriques, puisqu’ils sont empruntés à l’ordre de l’étendue, qui n’est, après tout, qu’une apparence. Cela seul est interne à une monade, qui est suffisamment rapproché du type même de la monade, de l’acte plein par où s’exprime et se réalise son unité. Or, les diverses puissances qu’enveloppe la monade sont à des distances inégales de l’acte, de l’unité, de la clarté. Elles sont donc plus ou moins internes, sans qu’il soit possible de marquer la limite exacte de l’intériorité. Pourquoi donc une monade ne pourrait-elle pas imposer sa forme à des puissances qui, tout en étant sous le rayon d’action d’une autre monade, seraient pourtant aussi voisines de la première que beaucoup des puissances propres de cette première monade ? Car, selon Leibniz, chaque monade enveloppe l’infini, elle porte en elle de quoi suffire,