Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/351

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aucune réciprocité d’action. Ici encore, le problème apparaît bien tel que nous l’avons posé ; affirmez la continuité universelle de l’action et la réalité de l’être universel qui rend possible cette action universelle, vous affirmez par cela même la réalité de l’étendue. Au contraire, supposez dans le monde une discontinuité profonde, vous faites par cela même disparaître la valeur de l’espace. Mais pourquoi Leibniz déclare-t-il impossible l’action réciproque des substances ? Leibniz dit : Il y a de l’être dans chacune de nos pensées. De même, il y a de l’être dans toutes les déterminations de toutes les substances ; puisque l’être est en toutes les substances, pourquoi toutes les substances ne communiqueraient-elles point par cette communauté de l’être ? Qu’est-ce que la communication d’une substance à une autre ? C’est la faculté, pour une substance, de transmettre sa forme ou une de ses formes à l’être d’une autre substance. Or, puisque l’être a pu recevoir cette forme dans la première substance, pourquoi ne la recevrait-il pas dans la seconde ? L’être, comme tel, est le même dans les deux substances, et nier la transmission possible d’une forme, de l’être d’une substance à l’être d’une autre, c’est nier, en réalité, que l’être puisse recevoir cette forme en aucune substance. Et, pour avoir voulu déterminer à outrance chaque substance, Leibniz s’expose à les dissiper toutes dans une indétermination absolue. L’isolement ne protège pas l’individualité, il la compromet. De plus, n’y a-t-il pas, selon Leibniz lui-même, action dans l’intérieur de chaque monade ? Il ne s’y crée rien, assurément ; toutes les puissances qui y sont enveloppées et qui passent successivement à l’acte ne sont pas des puissances nues, des possibilités abstraites ; elles sont déjà des détermi-