Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/36

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au problème de l’être, et de même que, pour M. Lachelier, c’est l’intelligibilité qui fait la réalité, de même, pour lui, c’est la vérité qui fonde l’être.

Il n’affirme pas d’abord l’être ; il prend pour point de départ l’idée de l’être, et cette idée d’être, il ne dit point immédiatement qu’elle est ; il dit : Il est vrai ou qu’elle est ou qu’elle n’est pas ; et puisque je puis penser quelque chose comme existant même par hypothèse, l’idée de l’être est. Mais je suis passé par la vérité pour aller à l’être. Il n’est donc pas à craindre que jamais la réalité puisse s’imposer à nous à l’état brut ; jamais, dans l’histoire éternelle du monde, il ne suffira aux faits de dire : je suis, pour être. Jamais le monde ne pourra tomber à l’état de fait, puisque l’être même est précédé et comme suscité par la vérité. Mais est-il donc nécessaire, pour soumettre le fait à l’idée, la réalité à la raison, l’être à la vérité, de réduire ainsi le monde à la sécheresse d’une construction logique ? N’y a-t-il point quelque artifice à déduire ainsi l’existence de l’idée d’être ? Car d’abord, pour pouvoir passer de l’idée d’être à l’existence de l’idée d’être, encore faudrait-il qu’il fût possible à la pensée la plus subtile de distinguer l’idée d’être et l’existence de l’idée d’être. Or, il est impossible même de distinguer l’existence de l’idée d’être, et l’idée d’être. De plus, pour pouvoir dire : il est vrai que l’idée d’être est ou n’est pas, encore faut-il que l’idée d’être soit déjà ; car l’affirmation il est vrai ne peut pas porter sur le néant et tomber éternellement dans le vide. Il est donc aussi naturel de déclarer l’idée d’être la condition de l’idée de vérité que d’arriver à l’existence de l’idée d’être par l’idée de vérité. Je crois que la simple formule immédiate : « L’être est », est à la fois plus vraie et plus religieuse