Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que la déduction de M. Lachelier. Elle est plus religieuse parce qu’elle émeut à la fois dans un mystérieux unisson toutes les puissances de l’esprit et de l’âme, qui toutes ont rapport à l’être et qui n’attendent pas, pour s’exalter, d’en avoir reçu congé d’un artifice logique. Elle est plus vraie parce qu’elle ne dissocie pas même momentanément la vérité et l’être, qui ne peuvent se déduire l’un de l’autre justement parce qu’ils ne font qu’un. Je sais bien que dans cette formule : « l’être est », il y a, au moins en apparence, un sujet et un attribut, et qu’il y a là, par conséquent, la constatation d’une sorte de logique primordiale que le philosophe a le droit de développer en longues déductions ; mais cela prouve simplement qu’il y a entre la pensée et l’être une telle identité première, que l’être ne peut s’affirmer même immédiatement sans prendre la forme de la pensée. Et comme, d’autre part, la pensée ne peut s’exercer sans l’idée d’être, c’est-à-dire sans l’être, je ne vois dans la formule : « l’être est », malgré son apparence logique, qu’une raison nouvelle de ne point tenter de la vérité à l’être une dérivation logique. D’ailleurs, dans cette proposition : l’être est, il nous paraît absolument impossible de marquer la valeur respective de l’attribut et du sujet. On peut aller aussi bien de l’attribut au sujet que du sujet à l’attribut. L’être est : pourquoi est-il ? Parce qu’il est l’être. Pourquoi l’être est-il ? Parce qu’il est. Il y a génération réciproque et éternelle du sujet et de l’attribut. Ainsi, quand nous écartons comme vaines toutes les distinctions et déductions logiques de la vérité et de l’être, nous ne prétendons pas réduire l’être à un fait brut, et en exclure la raison. Bien au contraire, car la raison est intérieure à l’être, et l’être est identique à la raison.