Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/382

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’est qu’une sorte d’imagination survivante, comme il n’existe plus pour nous quand nous n’existons plus nous-mêmes, c’est dans le néant absolu que nous emportons l’univers. La terre même où nous sommes enfouis, et le débris de ce qui fut nous, tout cela n’existe que dans la mesure où nous nous le figurons ; et morts, nous ne nous le figurons plus. La terre qui reçoit nos dépouilles s’inocule notre néant ; elle n’est plus et le monde n’est plus. Ne parlez même pas de la nuit ; l’obscurité aussi est une sensation ; l’obscurité n’existe que pour la conscience. La nuit, c’est encore la vie, c’est encore la conscience ; et la vision sombre par où nous croyons nous représenter la mort est encore un souvenir et comme un fantôme de la vie. Elle atteste seulement ou notre impuissance, ou notre répugnance à imaginer le néant absolu. Que la nuit elle-même disparaisse et laisse notre néant face à face avec le néant universel. Il y a au fond du subjectivisme un nihilisme absolu.

Je ne m’arrêterai pas un instant à discuter les conséquences extrêmes de la doctrine subjectiviste ; nous avons assez à faire de démêler et d’arracher un à un les sophismes compliqués qui sont à la racine. Je me garderai bien aussi de lui opposer cette foule innombrable de consciences toujours renouvelées, qui semblent une garantie de durée pour l’univers. Je meurs, mais d’autres vivent et vivront. Il y aura toujours des yeux pour voir la lumière. Si ce n’est pas dans notre sphère, c’est dans une autre ; les germes foisonnent. Il y a un million de semences pour un seul être, et dans l’infini prodigue, ni la vie, ni la conscience ne peuvent subir d’interruption. Soit ; mais tout d’abord, rien ne démontre que, dans l’univers, la vie se maintienne nécessairement à ce degré où la conscience claire se manifeste. L’hy-