Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/423

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comme un immense univers. Leibniz concluait qu’il n’est pas plus raisonnable de se figurer la pensée produite par les mouvements du cerveau, qu’il ne le serait de se la figurer produite par les mouvements d’un moulin. Nous ajouterions volontiers : le cerveau, considéré comme un système brut de mouvement, n’est pas plus capable de produire la pensée que ne le serait l’univers lui-même considéré comme un système brut de mouvement. Ainsi, à ne regarder les choses que du dehors et grossièrement, on peut à la rigueur voir dans le cerveau un monde, et dans le monde un cerveau. Ainsi, la distinction radicale que l’imagination semble établir entre le monde et le cerveau s’évanouit. De plus, comme le cerveau est enfermé dans une enveloppe organique résistante et en apparence close, l’imagination se représente volontiers le cerveau comme isolé du monde. Mais en réalité il se peut fort bien que ce que nous appelons le cerveau soit perpétuellement mêlé et confondu avec ce que nous appelons le monde par un échange continuel et subtil d’activité secrète. Déjà, nous l’avons vu, pour qui regarderait du dehors le cerveau percevant la lumière, le cerveau s’étendrait réellement, physiologiquement, jusqu’au foyer de lumière perdu dans les profondeurs mystérieuses de la nuit. Il serait comme une comète à noyau condensé et dont la queue balayerait l’immensité. Lorsque nous regardons un autre être, nous envoyons vers lui un rayon de lumière tout pénétré de notre âme, chargé de colère ou de tendresse. Alors, évidemment, notre activité cérébrale se répand dans l’espace ; elle s’y élargit sans rien perdre de sa précision, de son organisation ; et ceux qui s’imagineraient alors que notre cerveau est tout entier contenu dans la boîte cranienne commettraient