Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/425

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organisme une sphère d’action indéfinie. Les savants spéciaux n’ont pas pu contrôler la transmission de la pensée d’un sujet à un autre sujet sans l’intermédiaire de la parole. Elle est attestée cependant par des expérimentateurs nombreux. Elle constitue un fait prodigieux qu’il faut séparer et distinguer absolument de la suggestion par la parole. Celle-ci recourt en somme à des ressorts physiologiques et psychologiques connus. Au contraire, quand un sujet transmet sans parole une idée, une impression ou une volonté à un autre sujet, il y a évidemment un rayonnement de pensée dans l’espace et deux cerveaux sont mis en relation immédiate par ce rayonnement. Ainsi, la forme précise de notre pensée se propage à travers l’espace sans s’altérer, comme la forme précise de la lumière, de la couleur, de la nuance. Notre cerveau est donc à la lettre un foyer de pensée ; et, de même que le soleil remplit toutes les sphères que sa lumière occupe, de même qu’il serait puéril de réduire le soleil à n’être que le globe d’où sa lumière émane, le cerveau a l’ampleur de la sphère inconnue de nous où peut s’étendre l’action de sa pensée. Il me semble qu’on n’étudie pas tous ces phénomènes dans un esprit suffisamment philosophique ou, pour parler plus exactement, métaphysique ; on ne paraît préoccupé que des conséquences morales et sociales que pourra entraîner la pratique de la suggestion ; et il est certain que le problème du libre arbitre se pose de nouveau et sous une forme plus aiguë à propos de ces faits. Mais ils ont une autre portée qui est très haute ; ils attestent qu’il y a dans l’homme des puissances extraordinaires et inconnues, qui sont nulles ou à peu près dans son état normal, mais qui se manifestent dans certains états que nous appelons anormaux. Il y a en nous un