Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/427

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vie de l’amibe à l’homme, tout progrès n’a pas été une crise et une souffrance ? Lorsque le premier poisson qui a fait de ses nageoires un commencement d’ailes s’est risqué dans l’air, qui sait si ses organes respiratoires n’ont pas été longtemps troublés ? Le malaise et l’espèce d’anxiété qui s’emparent des enfants à l’approche du sommeil sont bien caractéristiques. L’état de sommeil et l’état de veille sont deux états radicalement différents et le passage de l’un à l’autre constitue une véritable révolution. Nous y sommes accoutumés et nous ne souffrons plus ; le tout petit enfant n’y est pas accoutumé et il souffre. Peut-être même a-t-il peur. Nous sommes donc arrivés peu à peu à nous assimiler le sommeil qui est, malgré l’apparence, un état violent, puisque c’est la suppression de la personnalité définie que nous gouvernons au profit d’une personnalité obscure qui se gouverne elle-même et se nourrit parfois de visions effrayantes et de sentiments monstrueux. Or, le jour où l’homme normal se serait assimilé les puissances de l’état magnétique et hypnotique, voyez comme dans la vie humaine l’organisme individuel deviendrait accessoire. Sans doute il resterait toujours présent à la conscience comme la racine nécessaire de l’individualité ; mais le moi pourrait remuer, par sa volonté directe, d’autres corps que son propre corps ; il ne serait donc plus l’âme exclusive d’un organisme particulier, mais bien l’âme de toutes choses, aussi loin que son action pourrait s’étendre ; et si elle pouvait s’appliquer à l’univers entier, il serait l’âme du monde. C’est ce que Maine de Biran a indiqué dans une page magistrale. Quand on parle de la possibilité pour le monde ou tout au moins pour les différentes sphères du monde d’arriver à la conscience, il y a des esprits positifs qui