Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/438

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individu, toutes les autres individualités, toutes les autres consciences de l’univers, attirées par la curiosité et le besoin d’adoration, iraient se perdre dans la conscience absolue et s’immobiliser aux pieds de Dieu. Mais le centre de l’univers, tout réel qu’il est, puisqu’il attire et appelle tous les mondes dans l’immensité, n’est pas un centre physique : il est bien un centre intangible et idéal. Dès lors, le seul moyen qu’aient les mondes d’aller vers lui, c’est de ne pas déserter leur modeste orbite, enchaîné à d’autres orbites ; c’est de concourir, chacun pour sa part, à cette universelle harmonie qui seule peut rapprocher les mondes de leur centre divin. De même, la conscience absolue est la réalité par excellence, puisque c’est par elle que toute conscience dit moi, puisque c’est par elle que l’univers mouvant aspire à consommer son unité et à dire moi, puisque le monde n’existe qu’en tant qu’il est un et qu’il ne forme un système un qu’afin de pouvoir devenir une conscience une, où la conscience absolue se confondra avec l’individualité absolue. Mais si la conscience absolue est la réalité, elle est la réalité idéale, et le seul moyen qu’aient les forces et les âmes de se rapprocher d’elle, c’est de ne point déserter leur modeste destinée individuelle, enchaînée à d’autres destinées ; c’est de régler leurs rapports avec les forces et les âmes voisines selon l’harmonie et la douceur. Ainsi, précisément parce que c’est la conscience absolue qui fait la réalité du monde, tous les individus, toutes les forces du monde gardent leur réalité familière et leurs devoirs familiers. Dieu, en se mêlant au monde, n’y répand pas seulement la vie et la joie, mais aussi la modestie et le bon sens. Dieu, précisément parce qu’il est présent partout, ne fausse pas, ne détruit pas les simples et tranquilles relations