Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/437

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solue. Dès lors, c’est du point de vue de cette conscience absolue et éternelle que, sans le savoir, nous contemplons le monde après l’évanouissement de notre moi. Et qu’on n’imagine point que cette conscience absolue va absorber le monde et entraîner la réalité familière dans une sorte d’abîme mystique. La conscience absolue n’est pas un moi individuel élevé à l’infini. Dieu n’est pas un individu infini. Si la conscience absolue était un moi individuel plus vaste que les autres, mais identique aux autres, elle ne serait pas la réalité elle-même, mais seulement une partie de la réalité ; et le monde, relevant d’une puissance de même ordre que lui, en serait le jouet et l’esclave. Mais la conscience absolue n’est pas un moi comme les autres : elle est le moi de tous les moi, l’unité de toutes les unités, la conscience de toutes les consciences, la vérité de toutes les vérités. Dès lors, les forces et les consciences qui sont dans le monde ne sont point liées à la conscience absolue par un rapport d’individu à individu. Le monde n’est pas au bord d’un gouffre divin où il puisse être précipité par une sorte de vertige. Le monde est ce gouffre divin lui-même, et, de même que le brin d’herbe, l’insecte et le rayon de soleil se jouent familièrement dans les profondeurs du gouffre, de même les réalités les plus humbles et les consciences les plus circonscrites se meuvent, sans trouble et sans délire, dans l’immensité divine. Si l’univers, avec ses sphères innombrables, avait un centre physique et réel, on verrait bientôt toutes les sphères tendre vers ce centre et s’y précipiter avec une sorte d’ivresse, sauf à être condamnées ensuite à l’immobilité de la mort. De même, si la conscience absolue était localisée quelque part, si Dieu était un individu rayonnant et sublime, mais un