Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/54

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couleurs correspondent à des vibrations différentes de rapidité et de longueur. Lorsque le spectre est étalé, il n’y a pas un seul de ses points qui ne représente pour la conscience une sensation particulière. La conscience suit donc avec une affection étroite toutes les vibrations lumineuses dans leurs transformations. Il faut donc que les mouvements cérébraux soient divers comme les vibrations du spectre, et il faut, en outre, que la diversité des mouvements cérébraux se développe avec une absolue continuité comme la diversité du spectre. Il devient dès lors presque certain que les mouvements cérébraux correspondant à la lumière et aux couleurs ne font que prolonger dans l’organisme les vibrations de l’éther. Ainsi le cerveau est pénétré par l’univers et par les formes précises de mouvements qui animent l’univers. Il est, à vrai dire, une partie de l’univers lui-même ; il est fait de la même étoffe et de la même activité que l’infini cosmique. Et c’est bien la réalité extérieure qu’il exprime par sa propre activité. La conscience liée au cerveau n’est point par lui isolée du monde, mais, au contraire, liée au monde.

Mais si ce n’est pas l’activité propre du cerveau qui fausse notre perception du monde, n’est-ce pas l’activité propre de la conscience ? Car enfin ce par quoi le cerveau et le monde s’harmonisent et se coordonnent, c’est le mouvement ; et le cerveau ne transmet à la conscience que des mouvements. Il semble donc que ce soit la conscience qui ajoute de son propre fonds la sensation, c’est-à-dire la vie même et la réalité joyeuse du monde. Et, en effet, la science nous déclare que hors de nous les sensations ne sont que des mouvements ; elle ne peut connaître qu’en mesurant, et elle ne peut mesurer qu’en ramenant les