Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/55

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forces et les manifestations les plus diverses du monde à une commune mesure qui est le mouvement. Ce n’est pas seulement le besoin de précision qu’elle satisfait par là ; c’est aussi et surtout le besoin d’unité le plus profond et le plus noble de l’esprit humain. Aussi, avant même la science, la philosophie éprise d’unité avait-elle pressenti que le mouvement pourrait bien être le fond réel de toute chose. Un point lumineux m’apparaît à distance, évidemment il n’agit pas sur moi à distance ; il doit traverser, pour agir sur moi, l’espace intermédiaire. Mais l’espace intermédiaire n’est pas occupé par des points lumineux ; c’est donc en secret que le point lumineux envoie vers moi sa forme, sa réalité. Or, que peut bien être cette réalité secrète qui vient à moi, sinon une forme invisible du mouvement ? Ainsi la réalité même du visible, c’est le mouvement invisible. Tout est mouvement et n’est que mouvement. La conscience attache à des mouvements différents des sensations différentes ; mais ces sensations n’ont d’autre office que de nous signaler d’abord la diversité des mouvements, et d’en permettre une première mesure expérimentale. Quand cela est fait, quand nous nous trouvons en présence de l’univers grandiose et un qui n’est que mouvement et qui se développe comme un théorème, la vanité de nos sensations désormais inutile disparaît comme écrasée sous la majesté éternelle du mouvement infini. Le monde est sous le rayon de la conscience comme un fleuve obscur sous un rayon de lune. Le rayon, en pénétrant dans les eaux, en dessine les rides, les courants, les tourbillons. Et c’est là pour nous une première idée du fleuve ; mais si l’on veut en avoir une idée vraie, il faut éteindre le rayon de lune et le rayon de conscience et rendre le monde et le fleuve