Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/60

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Nous n’avons donc jusqu’ici qu’un échafaudage de mouvements qui reposent en quelque sorte les uns sur les autres ; il nous faut pourtant trouver une base, une substance à ces mouvements. Creusons encore et cherchons plus bas : cette molécule est une combinaison chimique ; elle est composée d’éléments plus simples, et les quantités définies de ces éléments simples qui entrent dans la combinaison s’appellent des atomes. Est-ce que c’est l’atome qui va être le fondement dernier, la base matérielle, définitive du mouvement universel ? Mais la science aujourd’hui, par toutes ses théories, par toutes ses hypothèses, incline à rejeter l’idée brute de l’atome déterminé dans une forme rigide et figé dans une inertie éternelle. C’était la conception de Démocrite et d’Épicure ; ce n’est plus la conception de la science contemporaine. L’atome doit être, lui aussi, souple, mouvant, vivant. Tout d’abord, en effet, s’il était immobilisé et matérialisé dans une rigidité immuable, comment expliquer son origine ? ou bien, il est éternel, il est l’élément primordial et nécessaire des choses, et alors, pourquoi a-t-il telle figure plutôt que telle autre ? pourquoi est-il carré, rond, crochu, étoilé ? L’arbitraire, la fantaisie sont à la base même des choses, et le monde repose sur le caprice des figures géométriques bizarres que l’écolier dessine à la plume en marge de son cahier ; ou bien, au contraire, l’atome n’est pas éternel ; il n’est pas primordial, il a été produit ; mais, comment a-t-il pu être produit ? Par une action, c’est-à-dire, dans l’ordre physique, par un mouvement ; et alors il est impossible qu’étant issu d’une action, d’un mouvement l’atome ne garde pas trace de cette action, de ce mouvement, qu’il ne soit pas lui-même action ou mouvement. D’ailleurs, comment des atomes pourraient-ils former