Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/69

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sions de l’idée de matière et de mouvement à l’idée d’être. La vue d’une grande masse en mouvement, d’un grand fleuve, d’une grande foule, excite dans l’âme une sorte d’émotion involontaire qui est comme un développement d’être. De même l’idée des grandes masses sidérales, emportées dans l’espace par des mouvements d’une prodigieuse vitesse, éveille en nous une sensation de sublime, sans que nous ayons besoin de réfléchir et de rapporter tous ces mouvements à un principe. C’est avec une idée brute de masse et de mouvement, et par un ébranlement tout mécanique, que l’âme est induite à une sorte d’émotion religieuse : c’est que l’âme a senti l’être qui est dans la matière ; l’être qui est dans l’âme a été obscurément et profondément remué par l’être qui est dans les choses, et le sentiment spontané achève et confirme cette réduction de la matière et du mouvement à l’être, que la science et la pensée pure avaient préparée.

Au demeurant, comment l’être immense, immatériel et un, ne serait-il pas à la base et au fond de ce que nous appelons la matière ? Si le monde matériel avait pour fondement suprême une détermination de la matière, il reposerait sur l’arbitraire. Car, que serait cette détermination de la matière ? Une détermination spéciale de forme et de mouvement. Mais pourquoi telle figure serait-elle primordiale plutôt que telle autre ? Pourquoi telle forme du mouvement plutôt que telle autre ? Ou bien cette forme du mouvement n’aurait, pas plus que les autres, un rapport direct avec l’être infini ; elle n’en exprimerait pas, mieux que les autres, les puissances infinies. Et alors, comment serait-elle à l’origine du monde ? Ou bien elle traduirait, dans une première forme de mouvement infiniment complexe