Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/75

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formation du monde ? Si l’être infini n’était point présent avec son immutabilité à tous les moments du monde, le monde subirait à chaque instant, dans les passages de la puissance à l’acte et de l’acte à la puissance, de brusques variations d’être ; et si cet être infini et immuable n’était pas une activité infinie, un acte infini déployant l’univers dans l’infinité de l’espace et du temps, comment, par quels ressorts le monde passerait-il d’un moment à l’autre de la durée ? Il y a dans l’univers un élan que l’infini des siècles ne fatigue pas ; mais d’où peut venir cet élan infini, sinon d’une force infinie et en acte ? Partout le monde apparaît comme travaillé par un besoin d’unité ; il s’y forme des combinaisons, des groupements, et dans toutes ces combinaisons il y a une sorte d’unité intérieure qui peut devenir une conscience. Or, comment peut-il ainsi se former dans l’être des centres innombrables de conscience et d’unité, si l’être n’est pas pénétré partout d’une unité actuelle et vivante ? Comment les êtres sans nombre qui naissent et qui meurent, comment l’infusoire, le ver de terre et l’homme peuvent-ils obscurément ou clairement être des consciences ? Comment peuvent-ils, chacun à sa manière, dire ce mot sublime Moi, si l’être infini n’est pas tout entier intérieur à lui-même, s’il ne se possède pas lui-même dans un acte éternel d’unité qui soutient ces innombrables unités particulières que nous appelons les âmes ? Donc, comme être, comme force, comme unité, comme conscience, l’infini est un acte.

Mais précisément parce que l’être infini est un acte, il fonde la puissance. Étant l’être infini, il rend par là même possibles des déterminations innombrables et ordonnées de l’être. Il n’est pas une forme spéciale de