Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/85

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la table ; il tend à disloquer l’association des molécules qui la composent : il détermine en elle des mouvements nouveaux, et ces mouvements sont la résultante des mouvements antérieurs des molécules et du mouvement de la chute. En effet, ce mouvement, avec sa loi propre d’accélération continue, n’a pas besoin, pour se produire, d’une quantité donnée de temps : en vertu de la continuité même du mouvement, le mouvement peut se produire selon sa loi dans une quantité de temps infinitésimale, c’est-à-dire plus petite que toute quantité donnée. Donc, le poids, dans l’instant même où il agit sur la table par le contact et dans toute la durée continue qui prolonge ce contact, agit comme s’il tombait d’une chute infinitésimale, selon la loi spéciale d’accélération définie de la pesanteur ; et si nos sens pouvaient démêler, dans les complications des mouvements moléculaires de la table, la part précise qui revient à la pression du poids, ils verraient en quelque sorte la chute du poids qui est mathématiquement représentée dans les mouvements qu’elle détermine ; et comme il nous arrive, en rêve, de voir tomber sans fin des corps qui ne se déplacent pas, nous verrions le poids immobile tomber, et nous verrions juste.

Le système de la gravitation universelle a donné une certaine consistance à l’idée de force indépendante du mouvement. Il semble en effet impliquer l’action à distance ; mais les recherches actuelles de physiciens éminents tendent, je le sais, à ramener les faits d’attraction sous les lois de la mécanique et lorsqu’on dit, comme on le dit souvent aujourd’hui, que les explications cinématiques des phénomènes perdent du terrain, on commet une erreur très grave. Dans le détail, certaines explications mécaniques hâtives sont contestées ; mais dans