Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/92

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à notre sourire. Tout d’abord il est purement instinctif ; c’est comme une réplique du visage au visage. Il est vrai qu’alors même l’âme est obscurément en jeu, car le sourire de notre visage, avant de s’épanouir sur le visage de l’enfant, a dû aller jusqu’à son âme et en revenir ; mais elle n’y a rien mêlé d’elle-même ; il s’y est simplement réfléchi comme un rayon dans un miroir indifférent. Mais bientôt, quand l’âme de l’enfant s’éveille, son sourire se pénètre soudain d’une chaleur affectueuse ; il y a comme un flot tiède et pur qui vient de l’âme et qui se répand dans la lumière du sourire. Le sourire, qui n’était d’abord qu’une caresse du visage, est alors une caresse de l’âme, l’âme a fait amitié avec la lumière, et il est impossible de dire dans le sourire transformé ce qui est lumière et ce qui est âme. De même, il y a certaines paroles, certains sons, certains cris qui, venant de l’âme, vont à l’âme. Ainsi l’âme se mêle aux sons, c’est-à-dire aux mouvements de l’air pesant, comme elle se mêle à la lumière, c’est-à-dire aux mouvements présumés de l’éther impondérable ; et cela est possible parce qu’elle-même est mouvement. Sans doute, dans le monde actuel connu de nous, dans l’état présent des sens, des forces et des âmes, les forces et les âmes restent encore enveloppées, leurs mouvements internes ne se traduisent pas pour d’autres consciences par des mouvements perceptibles ; un éclair des yeux, un accent de la voix, c’est bien peu de chose : c’est comme si nous n’avions pour deviner ce qui se passe dans l’intérieur d’une maison qu’un peu de bruit entendu à travers la muraille, ou un maigre filet de clarté s’échappant à travers les volets presque clos. Il est vrai que l’homme a créé la parole et qu’elle peut arriver à ce degré de puissance de mettre les âmes