Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/91

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toute force, étant mouvement, sera objet possible de sensation, le mouvement étant, comme nous l’avons vu, inséparable de la sensation. Ainsi toute force, toute âme est naturellement visible jusque dans son fond comme une eau transparente. Il n’y a pas dans l’immensité de l’être un seul point qui ne puisse être perçu par les sens ; il n’est pas de secret dans les profondeurs, il n’est pas de repli dans les consciences que des yeux assez perçants ne puissent pénétrer. Si un rayon assez intense perçait toute la masse de l’Océan, il y aurait de sa surface éblouissante à son fond pâle un fourmillement et un frémissement continu de sensations ; toutes les rides, tous les courants vagues et profonds seraient comme dessinés. De même, dans l’abîme de l’être, un regard assez lumineux, démêlant et éclairant tous les mouvements du réel, appellerait à la clarté des sens le tressaillement de toutes les forces, le frémissement de toutes les âmes, le secret de toutes les consciences. Déjà, par l’organisme extérieur qui enveloppe leur organisme immédiat, les âmes cachées affleurent à la lumière des sens : in luminis oras. Qu’est-ce que l’expression du visage sinon l’âme même rendue visible. Et ce n’est point là une métaphore. Il faut bien que les pensées et les émotions de l’âme se soient propagées jusqu’au visage, que le mouvement initial auquel elles correspondent se soit approprié la matière du corps. Vraiment, à la lettre, la matière corporelle est alors imprégnée d’âme ; c’est-à-dire que les mouvements plus organisés, plus harmoniques qui correspondent à l’âme ont pénétré de leur forme, de leur vie les mouvements plus incohérents et plus lourds qui sont la matière ; à peu près comme une musique légère allège d’épais danseurs. Voyez le sourire par lequel les enfants répondent