Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/94

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vivent est mêlé et comme à deux fins ; il est fait pour la lutte, la résistance, l’agression, la ruse ; il est fait aussi pour la pénétration et la fusion des âmes ; il les cache et il les révèle : il leur fournit un abri pour les rêves, une cachette pour les mauvais desseins ; et en même temps, il les met en relation avec le son et la lumière, avec les grandes puissances de manifestation. L’âme, si elle entre un jour dans un monde de sérénité, de franchise et de paix, pourra-t-elle rejeter de son organisme l’élément de résistance, de méfiance épaisse, de mystère brutal ? Pourra-t-elle se créer un organisme de transparence, de lumière et d’harmonie ? se livrera-t-elle à ce point à l’être universel que toutes ses émotions s’y répandent comme une mélodie, que toutes ses pensées y flottent comme une ombre ou une lueur ? et qu’ainsi l’intérieur de toute âme soit immédiatement visible aux autres âmes dans un fraternel échange de clartés ? La question est attirante, et bien qu’elle semble toucher au rêve, elle s’offre invinciblement à ceux qui méditent sur l’universalité du mouvement, et sa liaison à la sensation. Au point où nous sommes de nos recherches, nous ne pouvons ni la résoudre, ni même en poser les termes avec précision. Il se peut qu’en fait, dans les relations de conscience à conscience, il doive subsister toujours une part d’ombre, d’exclusion, d’individualité jalouse. Mais nous savons dès maintenant que ce n’est pas là une nécessité métaphysique de l’être, une nécessité organique de l’univers. Nous avons assisté à l’évanouissement de toutes les forces obscures dans le mouvement ; et par le mouvement, inséparable de la sensation, il y a entre toutes les parties de l’être, entre tous les centres d’action et de conscience, une liaison naturelle de perception. Entre les systèmes particuliers de