Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/95

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mouvements qui sont la base des consciences individuelles il peut y avoir, il y a certainement une correspondance imparfaite ; mais l’être ne met point obstacle à une correspondance plus pénétrante, ou plutôt, par la forme universelle de son action qui est le mouvement, il multiplie autour des consciences les moyens de perception réciproque et les tentations d’unité ; car tous ces liens de mouvement peuvent devenir des liens d’harmonie, de chaleur et de lumière, des liens de vie. Par l’universalité du mouvement perceptible il n’y a pas seulement de vastes communications de monde à monde ; mais d’innombrables et délicieux sentiers, voilés encore de mystère, sont frayés entre les âmes : c’est à elles de les reconnaître et de s’y rencontrer. Or, nous savons encore, dès maintenant, que cette possibilité d’universelle et intime pénétration que nous fondons ici sur la métaphysique du mouvement et de l’être, l’âme humaine, d’instinct, et quand elle rêve à la vie idéale, l’a entrevue et affirmée. Pour elle, toute diminution ou tout accroissement de vie intérieure doit se marquer par une diminution ou un accroissement de rayonnement extérieur. Pourquoi, dans la conception antique, les ombres élyséennes sont-elles pâles ? pourquoi ne sont-elles que des ombres ? parce qu’en elles la vie intérieure aussi a pâli : il y a un effacement des âmes comme des visages. Au contraire, dans la conception chrétienne, ce qu’on a appelé la vie future est, pour l’âme, une exaltation presque infinie de la vie intérieure au sein de Dieu. Aussi les splendeurs du monde sensible s’avivent, bien loin de s’éteindre, dans les cercles divins pour se proportionner à l’ardeur intime des âmes. Le paradis du Dante est l’expression la plus complète et la plus logique du paradis chrétien : le ciel des âmes est, de cercle en