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HISTOIRE SOCIALISTE


Ils rédigèrent un mémoire très documenté : « Tableau dressé en 1786 du produit de la main d’œuvre des maîtres-ouvriers fabricants en étoffes de soie, pour le montant être ci-après mis en parallèle avec le tableau des dépenses journalières qui forment leurs charges annuelles. » Ils démontraient dans ce mémoire « que l’ouvrier en soie ne pouvait vivre du salaire qu’il obtenait par un travail forcé de dix-huit heures par jour… » Et ils ajoutaient ces fortes paroles, d’une extraordinaire amertume et qui attestent déjà des réflexions profondes sur l’état mécanique où est réduit le travailleur. « Quand on ne considérerait les ouvriers en soie que comme des instruments mécaniques nécessaires à la fabrication des étoffes, ou qu’abstraction faite de leur qualité d’hommes qui doit intéresser à leur sort, on eût l’inhumanité de ne vouloir les traiter que comme des animaux domestiques, que l’on n’entretient et ne conserve que pour les bénéfices que leur travail procure, toujours faudrait-il leur accorder la subsistance qu’on est forcé de fournir à ceux-ci, si on ne voulait pas s’exposer à se voir bientôt frustré du fruit de leur travail. » Poignant appel, où les travailleurs lyonnais invoquent pour leur protection ce qu’on appellera plus tard la loi d’airain. C’est d’un métal plus dur que leur condition était faite. Presque tous les ouvriers en soie se mirent en grève, et la grève s’étendant aux ouvriers des autres industries, ne tarda pas à devenir générale. Les chapeliers demandent qu’à raison du prix croissant des loyers et des vivres, leur journée soit portée de 32 à 40 sous pour douze heures de travail.

De même, les compagnons et ouvriers maçons, que les entrepreneurs payaient irrégulièrement, tous les trois ou quatre mois, et sans daigner leur faire un compte, réclament le paiement régulier et moins espacé de leurs salaires. Ainsi, le 7 août 1786, à la pointe du jour et sur un mot d’ordre qui coordonnait le mouvement, tous les ouvriers tisseurs en soie, chapeliers, maçons, manœuvres, quittent en masse les ateliers, les manufactures, les chantiers. Ils ne renouvellent pas la manœuvre hardie de 1744 ; ils ne s’emparent pas de la ville. Imitant, au contraire, les plébéiens de Rome, ils se retirent aux Charpennes, et signifient qu’ils ne rentreront à Lyon que lorsque satisfaction leur sera donnée.

Le consulat, sous le coup de la peur, accorde l’augmentation de salaires, mais il donne l’ordre que le travail soit repris, et interdit tout rassemblement de plus de quatre personnes. La troupe fait feu sur le peuple : plusieurs ouvriers sont tués. Deux ouvriers chapeliers, Nerin et Savage, et un ouvrier italien, Diabano, coupables d’avoir voulu passer le pont Morand sans payer le droit de péage, ce même pont Morand ensanglanté sous Louis-Philippe par les répressions bourgeoises, sont pendus. Un bataillon de Royal-Marine et un bataillon d’artillerie, où Bonaparte servait comme lieutenant, s’emparent de Lyon et écrasent la révolte ouvrière.

Les ouvriers fugitifs sont ramenés de force par les soldats à l’atelier ; les