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HISTOIRE SOCIALISTE

« Pendant la plus grande énergie du régime féodal, il n’y eut de propriété que celle des terres ; l’aristocratie équestre et sacerdotale domina tout, le peuple fut réduit à l’esclavage, et les princes ne conservèrent aucun pouvoir. »

« La renaissance des arts a ramené la propriété industrielle et mobilière qui est le fruit du travail, comme la propriété des terres est, originairement, le produit de la conquête ou de l’occupation.

« Le principe démocratique, alors presque étouffé, n’a cessé depuis de prendre des forces et de tendre à son développement. À mesure que les arts, l’industrie et le commerce enrichissent la classe laborieuse du peuple, appauvrissent les grands propriétaires de terres, et rapprochent les classes par la fortune, les progrès de l’instruction les rapprochent par les sciences, et rappellent, après un long oubli, les idées primitives de l’égalité.

« On peut diviser en trois branches la grande révolution que l’influence du progrès des arts a opérée dans les institutions européennes.

« 1o Les communes, acquérant des richesses par le travail, ont acheté d’abord leur liberté et ensuite une portion des terres, et l’aristocratie a perdu successivement son empire et ses richesses ; ainsi le régime féodal s’est écroulé sous le rapport civil.

« 2o La même cause, appuyée par le progrès de l’industrie qui l’accompagne toujours, a affranchi l’Europe entière de la puissance temporelle du pape et en a enlevé la moitié à sa suprématie spirituelle.

« 3o La même cause, c’est-à-dire le progrès de la propriété mobilière, qui est en Europe l’élément de la démocratie et le ciment de l’unité des États, a modifié successivement tous les gouvernements politiques. Suivant qu’elle a été plus ou moins favorisée par la situation géographique des lieux, elle a établi des gouvernements divers ; là où le peuple s’est trouvé très fort dans un petit état, il a établi des républiques ; là où, dans une grande région, il n’a eu que la force de soutenir, par l’impôt, le pouvoir monarchique contre l’aristocratie, ennemi commun du prince et du peuple, il a graduellement établi des monarchies absolues ; là où il a pu pousser plus loin ses progrès, après avoir servi longtemps d’accessoire au trône contre les grands, il a fait explosion et, prenant sa place dans le gouvernement, il a établi la monarchie limitée ; là seulement où il n’a pu que faiblement pénétrer, les formes aristocratiques et fédératives du gouvernement féodal ont pu se maintenir et ont même acquis, par le temps, une forme plus solide et plus régulière.

« C’est cette progression commune à tous les gouvernements européens qui a préparé en France une Révolution démocratique, et l’a fait éclater à la fin du xviiie siècle… ». Ainsi, selon Barnave qui traduit évidemment la