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HISTOIRE SOCIALISTE

Il représente, dans l’ordre religieux, une période de transition et de transaction qui correspond exactement à l’état, politique et social de la classe bourgeoise sous l’ancien régime. De même que celle-ci pendant le xviie et le xviiie siècle avait le sentiment de sa force croissante, mais n’osait pas encore engager une lutte ouverte et systématique contre l’ancien régime et la monarchie, de même le Jansénisme, fier, grondeur et soumis, n’osait pas attaquer l’Église et le dogme jusqu’en leur racine. Il pratiquait une sorte de libre-pensée ; mais sans en avouer le principe. Par une lente et grave initiation involontaire, il préparait l’ensemble de la classe bourgeoise aux hardiesses décisives de pensée, qui n’éclatèrent enfin qu’aux jours les plus terribles de la Révolution : sans lui, les clartés éblouissantes de la philosophie du xviiie siècle, et le voltairianisme même, si rapide et si aisé, n’auraient été que flammes légères courant à la surface de la société : la force de résistance du jansénisme atteste la croissance continue d’une bourgeoisie mesurée et forte, qu’une crise extraordinaire jettera enfin dans la philosophie.

Pendant que Paris mûrissait ainsi, sous l’enveloppe d’une bourgeoisie un peu âpre, les forces sociales de la pensée libre, il se préparait aussi profondément à son rôle de capitale révolutionnaire. À cet égard, la sotte équipée de la Fronde, où la bourgeoisie et le parlement furent dupes un instant de l’intrigue des princes, servit Paris. En le brouillant avec le roi, en éveillant les défiances éternelles de Louis XIV, de Louis XV et de Louis XVI, elle mit Paris un peu en marge de la vie monarchique.

La royauté résidait et triomphait à Versailles : et Paris, très royaliste aussi, n’était pas comme perdu dans le rayonnement immédiat de la monarchie : il prenait ainsi, peu à peu, la conscience obscure d’une vie nationale distincte du pouvoir royal. Quand Vauban, en une formule admirable, appelle Paris « le vrai cœur du royaume, la mère commune des Français et l’abrégé de la France », il en donne déjà, si je puis dire, une définition plus française que monarchique.

Aux heures glorieuses et aux heures sombres, un ardent patriotisme éclatait à Paris, plus haut que le loyalisme monarchique. Boileau, dans une de ses lettres, parle de l’empressement du peuple de Paris autour des généraux victorieux : Ce n’étaient point les délégués de la puissance royale que le « menu peuple » acclamait : c’étaient les héros de la gloire nationale. Et, en 1714, à l’heure tragique où les impériaux menaçaient le cœur même du pays, Louis XIV s’écria : « Je connais mes Parisiens ; j’irai à eux, je leur parlerai du péril de la France, et ils me donneront deux cent mille hommes. » Grand et noble acte de foi de la royauté acculée et vieillissante en Paris toujours vivant ! Mais troublant appel de la royauté à la patrie, comme à une force déjà supérieure !

Puis, pendant tout le xviiie siècle, Paris a une vie de spéculation, de