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HISTOIRE SOCIALISTE

l’Echiquier, d’Enghien, sur les terrains des Filles-Dieu (1784) ; la rue Martel, la rue Buffault (1777) ; la rue Richer, élargissement de la rue de l’Egoût (1782 et 1784) ; les rues Montholon, Papillon, Riboutté (1786). La vente au domaine royal et au domaine de la Ville des terrains qui dépendaient de l’hôtel Choiseuil permit, et d’établir la Comédie italienne et de tracer les rues Neuves Saint-Marc, de la Terrasse, Tournade, d’Ambroise. Au nord-est, après la rue de Lancry (1777), les rues de Breteuil, de Boynes, et de Crosne furent prises sur le terrain de l’hôtel de Boynes (1787) : le duc d’Angoulême, grand prieur de France, obtint de percer de nouvelles rues dans les terrains des Marais du Temple, entre autres celle d’Angoulême. Enfin à l’est de la Bastille, les abbesses, prieuses et religieuses de l’abbaye royale de Saint-Antoine-des-Champs, obtenaient d’ouvrir sur leurs terres de nouvelles rues, d’établir un marché et des fontaines (1777-1789). »

Qu’on me pardonne cette énumération bien insuffisante d’ailleurs. Mais il n’est pas de signe plus décisif de la merveilleuse activité économique de Paris dans la période qui a précédé la Révolution que cette multiplication des rues, cette soudaine croissance de quartiers neufs. Le faux réaliste Taine qui s’est attardé à noter des gentillesses de salon sous l’ancien régime n’a même pas pris garde à cet énorme remuement de pierres qui attestait un énorme remuement des intérêts. Or, tout ce mouvement de rénovation urbaine était conduit depuis deux siècles, et de plus en plus, par la bourgeoisie parisienne. C’est elle qui en avait à la fois la direction, l’exécution et le profit. C’est elle qui par ses prévôts des marchands, ses échevins, ses architectes, ses entrepreneurs, avait conçu les plans simples et larges qui s’accomplissaient. Elle avait été secondée par les Rois qui avaient le sens de la grandeur et de l’uniformité, et Louis XVI, en 1783. annonça tout un ensemble de mesures destinées à « donner aux voies une largeur proportionnée aux besoins et à en redresser les sinuosités ». La monarchie qui avait donné à Versailles une si claire et si majestueuse ordonnance ne pouvait s’accommoder, quand elle touchait à Paris, de la complication, de l’enchevêtrement et du désordre que le moyen âge y avait laissés ; et le goût de la bourgeoisie orgueilleuse et active qui voulait assurer la circulation facile des marchandises et des hommes et étaler à la lumière des larges rues les façades de ses hôtels neufs concordait à merveille avec la grandeur du goût royal. Au contraire, nobles et moines, liés par les souvenirs du passé, intéressés à garder, à l’ombre de leurs puissantes demeures, l’humble clientèle des pauvres maisons, résistaient aux transformations nécessaires : ils sentaient confusément que ces percées hardies de rues neuves, de lumière et de mouvement, menaçaient leurs antiques privilèges.

Qu’on ne se laisse point tromper par la longue liste des nobles qui obtiennent lettres patentes pour l’ouverture de nouvelles rues et la construction de nouveaux quartiers. C’était, pour la plupart d’entre eux, une forme