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HISTOIRE SOCIALISTE

décente de l’expropriation. Quand ils étaient à bout, quand ils ne pouvaient plus entretenir leurs vastes hôtels, ils en sacrifiaient une partie : ils vendaient les terrains à un prix élevé, et ils attendaient de toutes ces opérations une plus-value qui leur permît de vendre bien leur immeuble. Ou encore ils étaient gagnés eux aussi par une fièvre de nouveauté, et s’ennuyant de leurs solennelles demeures ils voulaient goûter au luxe délicat dont les financiers donnaient l’exemple. Mais toujours c’est la bourgeoisie de Paris qui donnait l’impulsion. C’est à elle par conséquent que revient l’honneur du grand plan de travaux qui pendant le xviie et le xviiie siècle créa vraiment le Paris moderne. Son principal effort fut de libérer le cours de la Seine en faisant disparaître les très nombreuses petites îles qui l’obstruaient et en substituant des quais larges et hauts, portés sur des arcades, à l’éboulement de masures qui dégringolaient jusque dans le fleuve. En outre, elle multipliait les ponts, séchait les marais qui couvraient une partie du quartier Montmartre et du quartier des Halles et dilatait ainsi Paris vers l’ouest.

Comme elle concevait les grands travaux, c’est elle qui les exécutait. C’est elle qui fournissait les architectes, les ingénieurs, les entrepreneurs, les capitalistes : et les nobles qui obtenaient d’abord la concession des travaux n’étaient ici encore que des parasites dont la bourgeoisie de l’équerre et du compas avait hâte de secouer l’onéreuse tutelle. Je note dans Jaillot que, dans la première moitié du xviie siècle c’est le grand entrepreneur Marie qui est chargé, en exécution d’un contrat conclu par la Ville avec les chanoines de Notre-Dame, d’assurer le terre-plain et de le revêtir de maçonnerie. C’est ce même grand entrepreneur qui bâtit le pont Marie. Plus tard, c’est à un autre grand entrepreneur bourgeois que le marquis de La Feuillade cède à forfait la construction de la place des Victoires pour laquelle il avait obtenu privilège du Roi ; il serait intéressant de dresser la liste des architectes et entrepreneurs du xviiie siècle : ils étaient une des principales forces de la bourgeoisie capitaliste parisienne, et ils étaient certainement préparés à servir la Révolution : d’abord parce qu’en simplifiant la propriété elle débarrassait leur activité des innombrables entraves que leur imposait la survivance du droit féodal ; ensuite parce que, mieux que d’autres, ils avaient pu constater la diminution, la décadence sociale de la noblesse et au contraire la croissance économique de la classe bourgeoise, maîtresse de l’avenir.

Et en effet, c’est bien la bourgeoisie qui conquérait Paris, et on peut dire qu’à la veille de la Révolution elle le possédait presque entièrement.

Sans doute un grand nombre d’anciens et beaux hôtels et quelques-uns des hôtels modernes appartenaient à la noblesse. Déjà pourtant plusieurs même de ces hôtels aristocratiques avaient été acquis par des financiers ou par des parlementaires (voir le répertoire du comte d’Aucour : les anciens hôtels de Paris).

Depuis deux siècles, c’étaient surtout « les commis du roi », les secrétai-