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HISTOIRE SOCIALISTE

« Que tous les droits qui n’ont jamais pu être une propriété, comme présentant une violation constante du droit naturel soient supprimés, ainsi que ceux qui étant une propriété dans le principe ont dû cesser de l’être par l’inexistence actuelle de la cause à laquelle ils étaient liés. »

Entre les deux branches de l’étau il est impossible que la propriété féodale et ecclésiastique ne soit pas écrasée. Cette combinaison du droit naturel et du droit historique est un coup de maître. N’invoquer que le droit naturel, c’était rendre difficile l’abolition de cette part de la propriété féodale qui résultait manifestement d’un contrat, et l’abolition de la propriété ecclésiastique constituée bien souvent par des donations volontaires.

D’autre part, n’invoquer que le droit historique, se bornera établir que la propriété était périmée parce qu’elle ne répondait plus à son objet premier, c’était soumettre toute la propriété, y compris la propriété bourgeoise, à la loi du temps et introduire en elle comme une menace de caducité.

Au contraire, dans la théorie du Tiers-État, la propriété bourgeoise s’opposait doublement à la propriété féodale et ecclésiastique : car elle était d’abord conforme au droit naturel, puisqu’elle procédait de la libre activité de l’homme, et elle était aussi conforme au droit historique puisqu’elle répondait et répondrait toujours à son objet qui était de donner une forme concrète et une garantie à la liberté des individus.

Ne nous plaignons pas que la bourgeoisie ait invoqué le droit naturel pour justifier et fonder la propriété bourgeoise. Évidemment, elle transposait dans l’ordre du droit éternel une période de l’histoire humaine.

Par une illusion singulière, elle croyait que l’état bourgeois où les possédants font travailler à leur profit les salariés était l’expression définitive du droit humain, l’accomplissement de la nature humaine.

Mais cette illusion même donna aux révolutionnaires de 1789 la force d’abolir la propriété féodale et la propriété ecclésiastique séparées de la propriété bourgeoise par toute la distance de la force barbare au droit naturel. De là, la précision et la vigueur avec lesquelles les cahiers demandent la suppression ou tout au moins le rachat obligatoire des droits féodaux.

De là aussi la hardiesse exceptionnelle de quelques cahiers qui, devançant le mouvement de la Révolution, déclarent que les biens ecclésiastiques doivent être vendus et que le produit de la vente doit être consacré à assurer le paiement de la dette. Et qu’on ne se méprenne point sur la portée de cette disposition.

Tandis qu’aujourd’hui la disparition du service de la dette, comme de toute la propriété capitaliste, et l’organisation de tout un système nouveau de garanties et de droits est une nécessité révolutionnaire, en 1789, c’est le maintien, c’est la consolidation de la dette qui est l’acte révolutionnaire par excellence.