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HISTOIRE SOCIALISTE

La Société organise, dans l’année 1786, des comices agricoles qui se tiennent en chaque canton de la généralité de Paris, à l’hôtel-de-ville ou au château. Pour propager des espèces nouvelles de moutons aux qualités de laine supérieure, elle donne des béliers au troupeau commun de chaque canton.

Curieuse initiative et qui montre bien que le progrès technique et scientifique de la culture aurait pu se concilier avec le maintien et même avec l’extension des biens communaux. Mais n’anticipons pas.

Les travaux de la société royale de Paris eurent dans toute la France agricole un tel retentissement qu’elle est considérée comme un modèle sur lequel doivent se créer des sociétés de province. Je lis par exemple dans les cahiers du Tiers-État du Poitou :

« Il est à souhaiter surtout qu’on adopte pour la formation de la société d’agriculture qu’on se propose d’établir à Poitiers, les règlements de la société d’agriculture de Paris ; de cette manière on ne se bornera pas à la théorie sur le premier et le plus utile des arts. Les meilleures cultures seront encouragées ; on favorisera l’amélioration des laines en faisant adopter l’usage des parcs domestiques d’après les principes de M. d’Aubenton ; on multipliera les meilleures races de moutons ; on en fera de même pour les aumailles, pour les chevaux et mulets, en veillant à fournir la province des étalons les plus convenables. »

Et les cahiers de Châtellerault, quand ils combattent la dîme, ne la dénoncent pas surtout comme inique et onéreuse aux cultivateurs : mais comme contraire aux progrès de la culture et à la grande rénovation agricole commencée dans la province. Nulle part on ne sent mieux la contradiction entre le régime social suranné et l’essor des forces productives : ce n’est pas parce que l’agriculture était en « décadence » qu’elle se révolte contre l’ancien régime, c’est parce que celui-ci arrête l’élan du progrès qui commence à se marquer.

Et en encourageant la culture sans avoir la force de supprimer les entraves qui liaient le travail, le gouvernement royal préparait lui-même sa chute. « On convient, disent les cahiers, qu’il n’est qu’un remède efficace contre tous les maux (pauvres récoltes d’un terrain maigre, rareté et cherté du bétail) : c’est de multiplier les prairies naturelles et artificielles. Le gouvernement qui en a senti l’importance, a fait distribuer par la voie de l’intendance, et depuis, par celle de l’assemblée provinciale, des instructions pour engager à multiplier les prairies et indiquer les meilleures méthodes pour le faire : mais si les avantages de cette culture sont infinis pour la fertilité des terres, ils sont aussi infiniment coûteux. Il faut ajouter aux frais directs de la formation des prairies l’achat de graines et d’engrais, une non-jouissance durant les premières années qui gêne considérablement ceux qui ont le courage de former de pareilles entreprises. On voit quelques décima-