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HISTOIRE SOCIALISTE

teurs s’empresser d’étouffer cette émulation dans les cantons où la dîme des prés (la dîme verte) n’est pas due.

« Ils se font payer la dîme sur les prairies nouvelles et sur les prairies artificielles. Ils menacent et intimident les plus faibles, qu’ils forcent ainsi de leur payer cette sorte de dîme… »

« Or les suites de ces usurpations sont meurtrières pour l’agriculture. Il est facile de prouver que la dîme du onzième sur des vignes et sur des prairies nouvelles, genre d’exploitation très coûteux, ne peut être moins que le cinquième et presque toujours le quart et quelquefois le tiers du produit net. L’introduction de ce droit énorme sur les prairies, ne peut donc qu’épuiser le cultivateur et le décourager. Cet abus forme encore de nouvelles entraves par le désavantage que l’on trouve à défricher d’anciennes prairies dont les décimateurs ne prennent point la dîme pour leur en substituer de nouvelles sur lesquelles ils la prétendent. C’est précisément ce convertissement continuel de prairies en terres labourables et de terres labourables en prairies qui fertiliserait le sol, revivifierait l’agriculture et ranimerait les cultivateurs : et c’est à cette réforme salutaire que s’opposent les décimateurs contre la raison, la justice et leur propre intérêt. »

Il est visible qu’il y a tout un mouvement d’idées, tout un système de pratiques nouvelles, et dans les dernières phrases citées c’est la disparition de la jachère, c’est-à-dire la première affirmation éclatante de l’agriculture intensive qui est annoncée comme prochaine, si l’ineptie du système social ne s’y oppose plus.

De tous ces faits, de tous ces indices que je pourrais multiplier, il résulte avec évidence que le dernier tiers du xviiie siècle a été marqué par un grand progrès de la culture. Le gouvernement n’aurait pas promulgué l’édit du 14 janvier 1763 autorisant le dessèchement des marais et exonérant de l’impôt les terres ainsi conquises, il n’aurait pas promulgué l’édit du 13 août 1766 encourageant aussi, par une exemption d’impôt, le défrichement des terres à ensemencer s’il n’avait su que partout des activités commençaient à s’éveiller.

Mais voici la conséquence sociale immédiate et redoutable de ce grand mouvement agricole. La culture intensive et perfectionnée ayant donné de bons résultats et permis presque partout aux propriétaires, comme en témoignent les rapports de la société d’agriculture, d’élever le taux des fermages, les appétits des puissants furent partout excités ; et ils s’appliquèrent résolument à fortifier et à étendre leur propriété privée, à abolir toutes les restrictions que l’usage imposait à leur droit de propriétaire dans l’intérêt de la collectivité. Il y avait dans la propriété foncière de l’ancienne France plusieurs traits d’un communisme rudimentaire.

C’était le droit de glanage. C’était le droit de vaine pâture : c’était surtout l’existence des biens des communautés, de ce que nous appelons aujour-