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HISTOIRE SOCIALISTE

cahier du Tiers-État de Mirecourt : « Dans la province de Lorraine, les communautés ont des deniers provenant de la vente de leurs émoluments communaux qui sont destinés à subvenir aux dépenses publiques auxquelles elles sont assujetties. Les seigneurs en perçoivent d’abord le tiers, et ce droit est connu sous le nom de tiers denier. » De même dans la paroisse de Nomeny, le tiers des produits communaux est dévolu aux seigneurs haut justiciers. On devine que dans ces communautés où les seigneurs avaient envahi le revenu du domaine commun, ils tenaient moins à faire prononcer le partage, et l’apparente exception ne fait que confirmer la règle.

La noblesse des Dombes, du Bas-Vivarais, de la Haute-Auvergne, alléguant l’intérêt de l’agriculture ou les perpétuelles inquiétudes et querelles que suscitaient les biens communaux, demandait le partage.

Dans le Tiers-État, je constate du flottement : en Auvergne, dans le Quercy, à Rodez, à Saint-Brieuc, il demande le partage. À Rennes, il demande qu’on étudie si le partage sera utile ou nuisible. Le Tiers-État est évidemment tiraillé entre le désir d’arracher aux seigneurs les communaux usurpés et celui d’affirmer, par le partage, le type dominant de la propriété individuelle. Mais il est clair que c’est surtout dans les cahiers où domine l’influence de la bourgeoisie des villes que le partage est énergiquement réclamé. Je note, par exemple, au bas du cahier, du Quercy, où la division des communaux est réclamée presque brutalement, des signatures exclusivement bourgeoises : magistrats ou hommes de loi. Si nous avions partout les cahiers des paroisses, nous aurions sans doute un autre son. La preuve, c’est que pour la région de Paris hors murs, où nous avons le cahier des paroisses en assez grand nombre, c’est le maintien ou la restitution des biens communaux qui sont demandés un peu partout. Mais même dans les communes où le paysan fait entendre sa voix, il y a des difficultés et des complications. Les paysans, eux aussi, sont tentés de s’approprier parfois une parcelle du domaine commun ; et en plus d’un point, ils ont suivi l’exemple des seigneurs ; ceux-ci installent sur le sol de la communauté de belles demeures : les paysans y installent de misérables masures ; et quand il faut exiger le retour des communaux à la totalité des habitants, ce n’est plus le seigneur seulement qu’il faut exproprier : il faut exproprier aussi le paysan misérable. Grave difficulté, dont le seigneur malin profite pour perpétuer son usurpation ! Voici, par exemple, un très curieux et poignant article du bailliage de Nivernais, à Saint-Pierre-le-Moutier. Le Tiers-État, en l’article 76 dit : « Que les habitants des villes et des campagnes soient maintenus dans la possession trentenaire pour les lieux où elle suffit, et dans la possession immémoriale pour les lieux ou la coutume l’exige, de tous leurs terrains communaux, tels que prés, bois, terres vaines et vagues, et accrues des chemins servant de pacages à leurs bestiaux ; que toutes les usurpations de ces terrains, faites dans ces paroisses depuis la déclaration du roi de 1766 (l’édit sur les clôtures) soient déclarées nulles et