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HISTOIRE SOCIALISTE

comme non avenues ; que tous les possesseurs des dits terrains, sans aucune distinction, soient en conséquence tenus de les rendre aux communautés, dans le délai de six mois, à compter du jour de la publication de la loi qui sera rendue à cet égard ; que toutes les habitations pratiquées dans les bois usagers ou dans ceux des seigneurs ou des particuliers depuis cette époque soient détruites dans le même délai, et attendu que les calamités publiques ont réduit plusieurs particuliers à la mendicité, et les ont forcés de se bâtir des chaumières, et de cultiver des terrains en friche, déclare ces infortunés propriétaires des dites chaumières, soit qu’ils se soient emparés des terrains sur lesquels ils les ont construites, soit qu’ils aient été concédés, sans que ni les seigneurs ni les communautés puissent exercer contre eux aucunes redevances ou prestations : qu’il soit aussi laissé à chacun d’eux un arpent de terre joignant les dites chaumières, pour fournir à leur subsistance et à celle de leur famille, à la charge que ceux qui en auraient pris ou s’en seraient fait concéder une plus grande quantité seront tenus de la rendre aux communautés sans indemnité, sans que personne puisse par la suite s’approprier les communaux restants, et que la possession depuis le 13 août 1766 puisse suffire aux seigneurs qui auront usurpé ou concédé des terrains de cette espèce, sur lesquels les communautés d’habitude leur payent des droits. » Comme on voit, ici c’est une combinaison forcée de propriété commune et de partage au profit des plus pauvres.

Ailleurs, dans les communes où les pauvres vivant dans des chaumières très resserrées ne peuvent pas avoir de bétail, ils n’ont aucun intérêt à maintenir les biens communaux où seuls les riches propriétaires et fermiers font pâturer : et là, il se produit un mouvement très énergique, d’abord pour arracher aux seigneurs les biens usurpés, ensuite pour répartir ces biens communs entre tous. Qu’on ne me reproche pas ces détails et ces citations : il nous faut regarder la vie paysanne d’assez près pour en surprendre, si je puis dire, le fourmillement : et je ne connais pas, dans la littérature populaire ou réaliste, une seule page plus savoureuse, plus émouvante aussi que le cahier des pauvres paysans de Vaires. Comment pourrions-nous, paysans de France, suivre votre histoire à travers le fracas des révolutions et le tumulte infini des événements, si nous ne vous écoutions pas un peu longuement à cette heure extraordinaire où la terre elle-même, muette et comme accablée depuis des siècles, semble recueillir son âme et exhaler sa plainte profonde ? « Nous avons l’honneur de vous représenter, nos seigneurs, que notre paroisse n’est composée que de seize particuliers et deux fermiers, et M. de Gesvre, seigneur en partie de la moyenne et basse justice, qui fait valoir environ 400 arpents de terrain. Voilà comme est composée notre paroisse ; des dix-huit habitants qu’il y a, tant particuliers que fermiers, il n’y en a qu’un seul, le nommé Potin, député de notre paroisse, qui possède une maison et trois arpents de terrain, et paye une rente à Monseigneur le duc de