Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/226

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
216
HISTOIRE SOCIALISTE

cahier des doléances, plaintes et remontrances de l’« agriculture du pays chartrain et soumis à l’assemblée du bailliage, tenu à Châtres le 2 mars 1789 », cahier imprimé en 1848 dans l’annuaire du département d’Eure-et-Loir. Je lis, à la paroisse de Clévilliers-le-Marteau : « Que les seigneurs ou autres propriétaires soient tenus de faire reconstruire les fermes qu’ils ont fait démolir, dont il y en a partie, qui ont fait seulement conserver le colombier et un logis pour leur garde-chasse, dans lesquelles fermes il existait un fermier, et aujourd’hui il y a dans plusieurs endroits 2 et 3 fermes réduites en une seule, ce qui détruit la plus grande partie des cultivateurs qui n’ont pas une fortune capable de faire valoir de si grands emplois. » C’est la concentration capitaliste du fermage qui commence.

Voici ce que dit la commune de Morancez : « De la destruction des corps de ferme : il se commet depuis plusieurs années en France et, notamment, dans le pays chartrain un abus qui mérite l’attention du gouvernement ; c’est la destruction des habitations. Elle est aussi contraire à la population qu’à l’agriculture. Les gens de main morte (les ecclésiastiques) en ont donné l’exemple, les propriétaires laïcs en ont été séduits et ont suivi. Voici les considérations qui portent les propriétaires, tant ecclésiastiques que laïcs, à détruire les habitations :

1o Pour éviter les frais de réparation ;

2o Affermer beaucoup plus cher les terres, qui formaient une exploitation en les donnant (ce qu’on appelle dans le pays chartrain) par lots, c’est-à-dire par petites parties, à différents particuliers qui les font labourer à prix d’argent.

Par ce moyen il est des paroisses dans lesquelles un tiers du terrain n’est pas confié aux soins et à l’intelligence du laboureur… Si depuis la manie de la destruction des bâtiments il y en a 300 (détruits) dans le pays chartrain, c’est 300 familles de moins et plus de 900 domestiques qui, la plupart, seraient mariés et qui sont obligés de se réfugier célibataires dans les villes pour avoir de l’occupation. »

Cette concentration capitaliste de fermage, en utilisant mieux la main-d’œuvre, avait pour effet de rendre inutile un certain nombre de manouvriers. La commune de Morancez conclut : « Il paraîtrait nécessaire de mettre ordre à cette mauvaise politique, d’encourager la reconstruction des habitations des propriétaires laïcs, et d’ordonner celle des ecclésiastiques. »

Kareiew cite, dans le même sens, les vœux d’un grand nombre de paroisses. Elles demandent « que les propriétaires, ayant plusieurs fermes, ne les baillent point à un seul fermier, mais qu’à chaque ferme il y ait un fermier comme auparavant. Que surtout les grandes fermes de quatre ou cinq charrues soient partagés en deux, et que la plus grande ne dépasse point 300 arpents de terre labourable. »

La paroisse du Triel demande « qu’aucun fermier ne puisse avoir plus