Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/237

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
227
HISTOIRE SOCIALISTE

volution bourgeoise : tout au fond du sac du semeur paysan des germes sont restés pour des sillons nouveaux.

Souvent, sous le regard des seigneurs ou de leurs hommes d’affaires, les paysans étaient gênés pour dire toute leur pensée. Le cahier d’Andeville débute par ces paroles : « Andeville : 36 feux : 13 électeurs dénommés au procès-verbal du 25 février 1789 — 2 députés, S. Lévaud et J. B. A. Lestang. — Les habitants ont déclaré qu’il était nécessaire, avant de s’occuper de la rédaction de leur cahier de doléances, plainte et remontrances, de faire assurer à l’assemblée générale du bailliage de Chartres, au sujet des trois cahiers des trois États réduits en un, que cette rédaction ne peut avoir que de mauvaises suites et presser la liberté du Tiers-État. Quel est l’habitant de la campagne qui oserait mettre au jour et exposer aux yeux d’une assemblée composée de ses seigneurs et maîtres, les justes plaintes qu’il a à faire de l’abus de leur autorité et de leurs privilèges qui ne fait que concourir à sa ruine et à celle de ses compatriotes ? Qui osera leur reprocher leur injustice et les vexations qui ont réduit ses ancêtres et ses descendants à la plus dure servitude ? »

« Personne n’ignore le mépris que les seigneurs font du malheureux habitant de la campagne ; ils le regardent comme rien, quoique beaucoup estimable ; comme inutile quoique très utile et précieux à l’État. »

« C’est un paisant, disent-ils, il est fait pour suivre nos caprices et nous obéir, il faut le réduire ; ils le regardent comme une bête de charge. Peut-il récrier contre cet abus infâme sans courroucer, aigrir et révolter son seigneur contre lui ? Si les cahiers de plaintes, remontrances et doléances du Tiers État, quoique très justes et conformes aux abus régnants, si, dis-je, ces cahiers étaient connus des deux États supérieurs, ils ne pouvaient qu’être nuisibles, par la suite, aux paroisses qui les auraient présentés et qui seraient victimes de leur vengeance. Il est donc très important que ces cahiers soient inconnus des deux autres États et rédigés à part. » Il y eut des paroisses où cette crainte du noble, présidant lui-même ou par son bailli paralysa les vœux des paysans.

Mais presque partout l’élan était si fort, la souffrance si grande qu’ils surent parler haut et clair : et si leur cri de misère et de révolte fut atténué de suite et amorti, ce fut par la prudence des bourgeois des villes qui tout en étant prêts à utiliser contre l’ancien régime et l’absolutisme le mouvement des campagnes s’effrayaient un peu de la violence des paysans.

Mais dans les paroisses et communautés, où les vues générales et hardies de la bourgeoisie pour la Constitution se concilient avec l’âpre revendication paysanne, l’esprit de la Révolution apparaît dans sa plénitude et dans sa force : c’est le cas, par exemple, de la paroisse de Fosses, dont je devrais citer tout entier l’admirable cahier : je n’en puis, faute d’espace, détacher que quelques articles, d’un accent de révolte incomparable, et si l’on rejoint ce cahier paysan, où la terre crie sa souffrance et sa colère, au cahier de Paris, si lu-