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HISTOIRE SOCIALISTE

le Tiers s’organise, qu’il envoie des délégués aux autres ordres pour les presser de se joindre à lui au moins pour la vérification des pouvoirs : pour les autres questions, le vote par tête ou par ordre serait réservé : et les délégués du Tiers assureraient en même temps le clergé et la noblesse de leur sincère désir de respecter toutes les propriétés et tous les droits.

Mais la réunion ainsi obtenue ne serait-elle pas l’amoindrissement moral du Tiers, la consécration préalable du système féodal et de tous les privilèges ? Les Communes rejettent vigoureusement le système de Malouet, et Mounier propose qu’il soit permis aux députés du Tiers d’aller à titre individuel et officieux trouver les députés des autres ordres pour les presser de se réunir. Vaine démarche, mais qui commence à faire sortir le Tiers, sans le compromettre, de son isolement et de son inaction ! Les délégués ne rencontrent à la Chambre de la noblesse que les commissaires chargés de la vérification des pouvoirs : ceux-ci continuent imperturbablement leur besogne.

Cependant le clergé, divisé contre lui-même et entraîné par la minorité très forte des curés, proposait de vagues moyens de conciliation. Il demandait que chaque ordre nommât des commissaires qui se concerteraient avec ceux des autres ordres. L’indication était très incertaine : la noblesse accueillit cette proposition en spécifiant bien que ses commissaires n’auraient d’autre mandat que d’expliquer aux communes pourquoi la noblesse se constituait à part. Mirabeau, en un grondement de colère s’écria à la séance du 15 mai : « N’est-ce pas une grâce que Messieurs de la noblesse accordent aux autres ordres lorsqu’ils nomment des commissaires pour se concerter avec eux ? Puisqu’ils ont eu le droit de vérifier leurs pouvoirs séparément, de se constituer en chambres sans le consentement des autres, qui les empêche d’aller en avant, de faire une constitution, de régler les finances, de promulguer des lois ? Les nobles ne sont-ils pas tout en France ? Qu’est-ce qu’une corporation de vingt-quatre millions d’individus ? Cela vaut-il la peine d’être compté pour quelque chose ? »

Par ces éclats d’ironie hautaine, il animait le Tiers à la résistance : mais aussi soucieux d’éviter les démarches irréparables que de prévenir toute faiblesse, il ne proposait encore rien et se contentait de prolonger la colère expectante des communes et de la nation. C’est le député de Rennes, le breton Chapelier, qui, fidèle au violent esprit révolutionnaire de sa province fit le premier jaillir l’éclair. Tandis que le pasteur Rabaud-Saint-Étienne demandait que le Tiers envoyât des commissaires aux autres ordres mais avec mandat de maintenir le vote par tête et l’indivisibilité de l’Assemblée, Chapelier veut confier aux commissaires un mandat menaçant.

« Les députés des communes déclarent qu’ils ne reconnaîtront pour représentants légaux que ceux dont les pouvoirs auront été examinés par des commissaires nommés par l’Assemblée générale. » Et déjà, Chapelier appelle les communes « le corps national ». C’était signifier aux autres ordres que