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HISTOIRE SOCIALISTE


Mais il s’en faut que le cens fût la seule manifestation du droit féodal.

En principe, les censitaires ne détiennent la terre que par la permission du seigneur et aux conditions fixées par lui. Même les habitants des villages que jadis le seigneur protégea contre les incursions des pillards et les violences des hommes d’armes sont supposés redevables au seigneur de leur sécurité, de leur existence, de leur activité, et le noble prélève un bénéfice sur presque toutes leurs actions : il met sur toute leur vie sa marque de suzeraineté.

Ainsi il y a une variété extraordinaire, de droits féodaux. Bien entendu, ils ne pèsent pas tous sur les mêmes terres : ils sont divers suivant les régions, mais très souvent plusieurs d’entre eux se réunissent pour accabler les mêmes hommes.

Outre le cens, il y a le droit de lods et ventes, qui est payé par la terre censive toutes les fois qu’elle change de main. Ce droit, qui n’était point payé dans le Midi, mais seulement dans les pays coutumiers, est l’équivalent de notre droit actuel de mutation. Seulement, comme l’observe Boiteau, le droit de mutation est perçu aujourd’hui par l’État au profit de l’État. Sous l’ancien régime, il était perçu sur toute une catégorie de terres, les terres censives, par les seigneurs et pour les seigneurs. Bailly, dont les calculs semblent il est vrai assez incertains, évalue à 36 millions le produit annuel que les nobles retiraient des lods et ventes.

Il y a le droit de terrage ou champart (campi pars, portion du champ). C’est une portion des fruits due au seigneur par la terre censive. Tandis que le cens était une redevance fixe et souvent en argent, le champart était une redevance en nature et proportionnée à la récolte.

Cette proportion d’ailleurs était variable suivant les régions : elle atteignait parfois un cinquième de la récolte, et n’était jamais moindre qu’un vingtième. Quand le champart était prélevé sur la récolte des arbres fruitiers, il s’appelait la parcière ; quand il était prélevé sur la vigne, il s’appelait le carpot. Pas une des productions de la terre (sauf celles qui n’étaient point connues, comme les pommes de terre, à l’époque où les contrats féodaux furent rédigés) n’échappait aux prises des seigneurs. De plus, les habitants des campagnes étaient assujettis aux plus onéreuses servitudes.

Ils étaient tenus à des corvées personnelles, souvent humiliantes. Ils ne pouvaient, en bien des points, s’affranchir des banalités seigneuriales. Le noble était propriétaire du moulin, du four, du pressoir, du taureau pour saillir les génisses, et les paysans étaient obligés, moyennant redevance, d’y recourir. Le seigneur vendangeait le premier ; c’est après lui et avec sa permission que les paysans vendangeaient les vignes de leurs terres censives. Le seigneur en vendangeant le premier, se protégeait contre le grappillage et la maraude qui sévissent d’autant plus sur le vignoble que la vendange est plus avancée. De plus, et surtout, il s’assurait ainsi, hors de toute concurrence et à moindres frais, les vendangeurs et vendangeuses.