Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/256

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
246
HISTOIRE SOCIALISTE

droit ». Encore un pas et ce sera la réunion sans réserve. Bouleversé, le cardinal de la Rochefoucauld et l’archevêque de Paris, courent à Marly où était le Roi : et là, sous l’inspiration cléricale, le coup d’État royal est décidé.

Le lendemain 20 juin à 9 heures du matin, quand Bailly, président de l’Assemblée nationale, et les deux secrétaires se présentent à la porte de l’entrée principale, ils la trouvent gardée par des soldats ! le président demande l’officier de garde. Le comte de Varsan se présente, et dit qu’il avait ordre d’empêcher l’entrée de la salle à cause des préparatifs qui s’y faisaient pour une séance royale. Le président proteste et déclare « la séance tenante ». Qu’importe que le local soit clos ! L’Assemblée a déclaré qu’il y avait séance ce matin-là à neuf heures : il y a séance. Et se tiendrait-elle dans la rue il y aurait encore séance. Ainsi le veut la volonté de la Nation, qui est la loi supérieure à tout.

Les députés, sous la pluie battante, cherchent non un abri, mais une enceinte où ils puissent délibérer. Un local assez vaste servait pour le jeu de Paume : c’était une grande salle vitrée, dont les murs, nus, étaient coupés à mi-hauteur par des galeries en bois. C’est là que s’assemble la Nation, et c’est là que tous les députés, sauf un, Martin d’Auch, font, sur la proposition de Mounier, le serment de ne se séparer que quand la Constitution serait faite. C’est le grand légiste Target qui a rédigé le texte : « L’Assemblée nationale, considérant qu’appelée à fixer la Constitution du royaume, opérer la régénération de l’ordre public et maintenir les vrais principes de la monarchie, rien ne peut empêcher qu’elle continue ses délibérations dans quelque lieu qu’elle soit forcée de s’établir, et qu’enfin, partout où ses membres sont réunis, là est l’Assemblée nationale.

« Arrête que tous les membres de cette Assemblée prêteront, à l’instant, serment solennel de ne jamais se séparer, et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeront, jusqu’à ce que la Constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides, et que le dit serment étant prêté, tous les membres et chacun d’eux en particulier confirmeront, par leur signature, cette résolution inébranlable ».

Ainsi, tous les élus du Tiers, à cette heure de grand péril, se lient les uns envers les autres et tous ensemble à la Nation d’une chaîne sacrée. Ils peuvent affronter la séance royale annoncée pour le 22 juin et le coup d’État ; ils portent en eux la double majesté de la Nation et du serment. Le lendemain, 21 juin, étant un dimanche, l’Assemblée ne siégea point ce jour-là ; mais, pour bien marquer la continuité de son action, que rien désormais ne pouvait rompre, elle s’ajourne au lundi 22 et elle arrête, en outre, que si la séance royale a lieu dans la salle nationale, tous les membres y demeureront, après que la séance sera levée, pour continuer les délibérations et les travaux ordinaires. La fameuse réponse de Mirabeau à de Dreux-Brezé ne sera que la traduction de ce vote unanime des grands bourgeois révolutionnaires.