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HISTOIRE SOCIALISTE

Le lundi matin 22, des hérauts d’armes annoncent que la séance royale est ajournée au lendemain 23. Bizarre mélange de violence et d’atermoiements. Ce retard d’un jour permet à la majorité du clergé d’exécuter sa décision et de se réunir aux communes. Le Tiers-État, devenu par sa volonté Assemblée nationale, siégeait dans l’église Saint-Louis, quand les curés firent leur entrée et annoncèrent leur résolution de délibérer en commun. Ils furent accueillis par des applaudissements enthousiastes. Cette réunion, la veille même de la séance royale, donnait au clergé lui-même une attitude quasi révolutionnaire. Visiblement, le bas clergé était fatigué des demi-mesures : il venait d’adresser aux archevêques et évêques une lettre hautaine, leur rappelant que la décision de la majorité faisait loi pour l’ordre tout entier. Le vent de la Révolution commençait à souffler en tempête quand le Roi, mené par les princes et le haut clergé, tenta de lui opposer son coup d’État du 23.

Un formidable appareil de violence et de menace était dressé, au matin du jour royal, sur les pas des Communes. Une nombreuse garde de soldats enveloppait la Salle des Menus ; dans les rues environnantes et sur l’avenue de Paris étaient placés des détachements de gardes françaises et suisses, de gardes de la prévôté et de la maréchaussée, et des barrières coupaient les principales voies. Évidemment, il fallait écarter et refouler le peuple qui, à grands flots inquiets, venait de Paris pour assister à la lutte si dramatique de la Révolution commençante contre le despotisme. L’entrée de la salle était rigoureusement interdite au public.

La contre-Révolution redoutait déjà les manifestations des tribunes et rien ne nous renseigne mieux, que toutes ces précautions, sur l’état de l’esprit public. À la séance d’inauguration du 5 mai, les galeries étaient pleines de spectateurs et le Roi s’était montré sans embarras « à son peuple ». Un mois et demi après, c’est dans le huis clos d’une séance toute militaire que la Royauté menaçante, mais troublée, lancera son défi aux représentants de la Nation.

Les portes de la salle s’ouvrent, et M. de Brezé grand maître des cérémonies fait entrer d’abord les deux ordres privilégiés. Plus d’une heure sous la pluie, les communes attendent : ou plutôt c’est la nation même qu’on laisse ainsi dans la boue. Indignés, les députés de la nation menaçaient de se retirer quand leur tour d’entrée arrive enfin.

Le Trône était placé dans le fond de la salle : le clergé était placé à gauche et la noblesse à droite ; le Tiers-État était au centre comme au 5 mai. À retrouver ainsi les trois ordres disposés pareillement dans la même salle, on pouvait se croire revenu au premier jour. Mais, entre ces deux dates, il y avait toute une Révolution : et en attendant l’arrivée du roi quel drame secret dans toutes ces consciences ! Les députés du Tiers étaient engagés dans une partie où ils jouaient leur tête avec la liberté de la nation. Le roi,