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HISTOIRE SOCIALISTE

doute nécessaire pour un temps, il n’en était pas moins funeste : il est pour ainsi dire au cœur même de la Révolution et il va en déconcerter les battements. Même après Varenne, même après cette fuite qui est manifestement une trahison, l’Assemblée s’obstine dans un mensonge dont elle même est prisonnière : « Ce n’est pas le roi qui est coupable » et il paraîtra plus simple de fusiller les pétitionnaires du Champ de Mars que de déchirer la pitoyable fiction dont la Révolution avait paru vivre et dont elle faillit mourir.

Quinet, qui veut plier l’histoire à la conscience, affirme que le mensonge n’était point nécessaire et qu’à proclamer d’emblée la vérité c’est-à-dire la responsabilité du roi, la Révolution aurait évité bien des traverses et des égarements. Mais souvent la logique profonde des choses est plus hardie que la logique de l’esprit.

La réalité révolutionnaire concluait à la République avant que la conscience française fût préparée à conclure de même : c’est cette discordance entre les nécessités nouvelles des événements et les habitudes persistantes des esprits même les plus audacieux qui fait le drame de l’histoire : et ce drame, il n’est pas au pouvoir du moraliste hautain de l’abolir. Mirabeau souffrait cruellement de l’attentat royal du 23 juin, car il pouvait avoir pour conséquence de brouiller à mort la Révolution et le roi, et d’ouvrir à la Révolution des voies sanglantes.

Déjà les peuples émus et indignés commençaient à se soulever. Déjà la force populaire entrait en mouvement et l’Assemblée bientôt ne pourrait plus la régler. Aussi dès que le Roi, à la date du 27 juin, eut témoigné au clergé et à la noblesse son étrange et tardif désir de la réunion complète, Mirabeau s’empresse-t-il de déterminer un retour d’opinion vers la royauté et vers le roi. Son dessein obstiné était d’arracher le Roi à l’aristocratie et d’en faire le chef de la Révolution.

Par son concours, la route devenait aisée : l’Assemblée, ayant la double force de la raison et de l’autorité royale, n’avait pas besoin de faire appel à la force tumultueuse du peuple ; et la nation entrait en possession paisible de la souveraineté sans qu’une goutte de sang ait souillé sa victoire.

Espérance chimérique sans doute et toujours déchirée, dont jusqu’à sa mort il recoudra obstinément les lambeaux et qu’il emportera dans la tombe comme le vêtement de deuil de la monarchie ! Donc, le 27 juin, il demande à l’Assemblée d’envoyer à ses commettants une adresse pour calmer les esprits et pour leur rendre confiance, en pleine action révolutionnaire, aux moyens pacifiques et légaux.

En une magnifique illusion à demi volontaire de concorde prochaine, il s’écrie : « Qu’il sera glorieux gour la France, pour nous que cette grande Révolutionne coûte à l’humanité ni des forfaits ni des larmes ! Les plus petits États n’ont souvent enfanté une ombre de liberté qu’au prix du sang le plus précieux. Une nation trop fière de sa constitution et des vices de la nôtre