Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/265

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
255
HISTOIRE SOCIALISTE

(l’Angleterre) a souffert plus d’un siècle de convulsions et de guerres civiles, avant d’affermir ses lois.

L’Amérique même, dont le génie tutélaire du monde semble récompenser aujourd’hui l’affranchissement qui est notre ouvrage n’a joui de ce bien inestimable qu’après des revers sanglants et des combats longs et douteux. Et nous, messieurs, nous verrons la même Révolution s’opérer par le seul concours des lumières et des intentions patriotiques… L’histoire n’a trop souvent raconté les actions que de bêtes féroces, parmi lesquelles on distingue de loin en loin des héros ; il nous est permis d’espérer que nous commençons l’histoire des hommes ».

Il n’est pas de plus admirable parole : je voudrais retenir et prolonger ce cri d’humanité pour la prochaine révolution prolétarienne. Ce n’est pas en vain qu’il retentit, en 1789, au début de la Révolution : Car elle fut malgré tout, une des plus humaines et des plus douces.

Ainsi Mirabeau, en un mouvement alterné où il n’y avait point de duplicité, éclatait en magnifiques colères quand la Révolution était en péril, et adoucissait les cœurs dès qu’une chance apparaissait de réussite pacifique. Pendant que l’Assemblée, se croyant enfin victorieuse, s’appliquait à atténuer les effets de la commotion du 23 juin, la Cour reprenant l’offensive, ou peut-être découvrant à nouveau des plans d’attaque qu’elle n’avait jamais abandonnés, concentrait des troupes en vue d’un coup de force simultané sur Paris et sur Versailles. Elle avait compris qu’il ne suffirait pas de frapper l’Assemblée ou le peuple ; qu’il fallait écraser à la fois la conscience centrale de la nation à Versailles et la force centrale de la nation à Paris Et par un prodigieux aveuglement, c’est au lendemain même du jour où l’Assemblée nationale avait recueilli en elle la noblesse en partie sincère, et gagné le clergé en majorité révolutionnaire, que la Cour tentait cette terrible entreprise de contre-révolution.

La Cour, pour mobiliser les troupes et les concentrer entre Paris et Versailles, prit prétexte des incidents de l’Abbaye. Depuis que la lutte entre l’Assemblée et la Cour était engagée, le peuple de Paris, avec un grand sens révolutionnaire, avait compris qu’il fallait s’assurer des soldats, et il essayait de les gagner à la cause de la Révolution. Ce n’était pas très malaisé, car c’est à l’armée surtout que le privilège des nobles était intolérable : seuls ils pouvaient devenir officiers ; la discipline était dure, la paie très faible. Les soldats recevaient huit sous par jour pour se nourrir. Et la plupart d’entre eux, pour vivre, étaient obligés de compléter cette paie en travaillant à quelque métier pendant les heures de liberté que leur laissait la triste caserne où ils séjournaient huit ans. Ils étaient donc tout à la fois mécontents et mêlés à la vie fiévreuse de la nation : tout préparés, par conséquent, à l’entraînement révolutionnaire. Le peuple de Paris exerçait notamment sur les gardes-françaises une incessante propagande.