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HISTOIRE SOCIALISTE

hésitation contre l’Assemblée, et celle-ci aurait été comme foudroyée par le choc en retour des événements de Paris.

Telle était dès lors la force morale de l’Assemblée, qu’il paraissait plus facile à la Cour d’écraser d’abord Paris que de violenter directement l’Assemblée : c’est donc maintenant dans la capitale que tient tout le destin de la Révolution. La grâce des soldats mit fin, dès les premiers jours de juillet, à toute effervescence, mais les mouvements de concentration des troupes continuèrent. Dès le 8 juillet, à la tribune de l’Assemblée nationale, Mirabeau signale le péril en un discours admirable, et il adresse aux soldats eux-mêmes un véhément appel.

« Quelle est l’époque de la fermentation ? Le mouvement des soldats, l’appareil militaire de la séance royale. Avant, tout était tranquille ; l’agitation a commencé dans cette triste et mémorable journée. Est-ce donc à nous qu’il faut s’en prendre si le peuple qui nous a observés, a murmuré, s’il a conçu des alarmes lorsqu’il a vu les instruments de la violence dirigés non seulement contre lui, mais contre une Assemblée qui doit être libre pour s’occuper avec liberté de toutes les causes de ses gémissements ? Comment le peuple ne s’agiterait-il pas, lorsqu’on lui inspire des craintes sur le seul espoir qui lui reste ? Ne sait-il pas que si nous ne brisons ses fers, nous les aurons rendus plus pesants, nous aurons cimenté l’oppression ; nous aurons livré sans défense nos concitoyens à la verge impitoyable de leurs ennemis, nous aurons ajouté à l’insolence du triomphe de ceux qui les dépouillent et les insultent ?

« Que les conseillers de ces mesures désastreuses nous disent encore s’ils sont sûrs de conserver dans sa sévérité la discipline militaire, de prévenir tous les effets de l’éternelle jalousie entre les troupes nationales et les troupes étrangères, de réduire les soldats français à n’être que de purs automates, à les séparer d’intérêts, de pensées, de sentiments d’avec leurs concitoyens ? Quelle imprudence dans leur système de les rapprocher du lieu de nos assemblées, de les électriser par le contact de la capitale, de les intéresser à nos discussions politiques ? Non, malgré le dévouement aveugle de l’obéissance militaire, ils n’oublieront pas ce que nous sommes : ils verront en nous leurs parents, leurs amis, leur famille occupée de leurs intérêts les plus précieux ; car ils font partie de cette nation qui nous a confié le soin de sa liberté, de sa propriété, de son honneur. Non, de tels hommes, non de tels Français ne feront jamais l’abandon total de leurs facultés intellectuelles ; ils ne croiront jamais que le devoir est de frapper sans s’enquérir quelles sont les victimes. »

Quel noble signal d’indiscipline pour la liberté ! Et Mirabeau concluait en demandant une adresse au roi pour le prier de rappeler les troupes. Il demandait en même temps que des gardes bourgeoises soient instituées à Paris pour y maintenir l’ordre sans y menacer la liberté.