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HISTOIRE SOCIALISTE


L’Assemblée ajourna la motion sur les gardes-bourgeoises ; mais elle rédigea immédiatement une adresse où elle priait le roi « de rassurer ses fidèles sujets en donnant les ordres nécessaires pour la cessation immédiate de ces mesures, également inutiles, dangereuses et alarmantes, et pour le prompt renvoi des troupes et du train d’artillerie au lieu d’où on les a tirés. » Cette adresse est adoptée à l’unanimité, moins quatre voix. Ni le haut clergé ni la noblesse n’osaient s’associer ouvertement à l’entreprise de violence préparée contre Paris et l’Assemblée, et ainsi sans doute s’expliquera la mollesse de l’effort royal dans la journée décisive du 14 juillet. Mais quel jeu insensé jouait donc la monarchie, qui défiait maintenant la nation, sans être assurée du concours déclaré des privilégiés eux-mêmes ? Sans les racines séculaires et tenaces de la royauté, elle aurait été emportée en un jour par ses propres folies.

Dans l’adresse même, l’Assemblée menaçait le roi de la défection des troupes : « Des soldats français approchés du centre des discussions, participant aux passions comme aux intérêts du peuple, peuvent oublier qu’un engagement les a faits soldats pour se souvenir que la nature les fit hommes. » La réponse du roi, transmise le 11 juillet, fut extrêmement inquiétante. « Personne n’ignore les désordres et les scènes scandaleuses qui se sont passées et se sont renouvelés à Paris et à Versailles sous mes yeux et sous ceux des États-Généraux : il est nécessaire que je fasse usage des moyens qui sont en ma puissance pour remettre et maintenir l’ordre dans la capitale et dans les environs. C’est un de mes principaux devoirs de veiller à la sûreté publique : ce sont ces motifs qui m’ont engagé à faire ce rassemblement de troupes autour de Paris… Si pourtant la présence nécessaire des troupes dans les environs de Paris causait encore de l’ombrage, je me porterais, sur la demande des États-Généraux, à les transférer à Noyon ou à Soissons ; et alors je me rendrais moi-même à Compiègne pour maintenir la communication qui doit avoir lieu entre l’Assemblée et moi. »

Quelle fourberie ! Parler de la faiblesse de Louis XVI n’est point assez : il subissait sans doute l’influence de la reine et des princes ; mais il se disait qu’après tout il n’avait d’obligation qu’envers lui-même, et qu’il pouvait sans scrupule tromper des sujets rebelles : le mensonge était une partie de la souveraineté. Au moment même où il assure l’Assemblée qu’il veut seulement « prévenir » les désordres, il vient de décider le renvoi de Necker, de Montmorin, de Saint-Priest, de la Luzerne, de tous les ministres modérés qui ne veulent pas servir la contre-révolution. Le roi ne peut pas ignorer que le renvoi de Necker produira à Paris une émotion très vive, et il se prépare à réprimer des soulèvements excités par lui-même ; il est vraiment responsable de tout le sang qui va couler. Devant cette obstination et cette fourberie du roi l’Assemblée se tait ; ignorant encore le renvoi de Necker, dans la séance du 11, elle ne sait plus quel parti prendre. En vain Mirabeau la presse d’in-