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HISTOIRE SOCIALISTE

sister pour le rappel des troupes : elle a le sentiment de son impuissance et elle laisse tomber la motion.

Après tout, c’est peut-être le silence qui convenait le mieux. Supplier encore ? C’était vain et humiliant même, si on s’en tenait là. Lancer à Paris un appel révolutionnaire ? C’était contraire à toute la marche suivie jusque-là par l’Assemblée, et d’ailleurs cet appel serait-il entendu ? C’est Paris qui va trancher l’inextricable nœud.

Depuis plusieurs jours déjà, la grande ville se préparait à la résistance. Mirabeau en demandant à l’Assemblée, le 8 juillet, l’institution des gardes bourgeoises, était l’interprète de la bourgeoisie révolutionnaire de Paris. L’Assemblée ajourne, mais Paris n’ajourne pas. Et son initiative sauvera la Révolution. On sait que les élections avaient eu lieu par district ; les soixante districts avaient désigné 407 électeurs du second degré qui nommèrent les députés. Mais après les élections, les assemblées primaires de district ne s’étaient pas dissoutes. Elles continuaient à se réunir, et en ces centres multiples et vibrants tous les événements de la Révolution se répercutaient et résonnaient. C’est par cette sorte de résonance révolutionnaire des districts qu’une communication constante était établie entre l’Assemblée de Versailles et Paris.

L’assemblée des électeurs du second degré avait continué à se réunir : même après le 10 mai, même après la clôture des opérations électorales, les 407 avaient décidé de siéger pour rester en rapport avec leurs élus et surveiller les événements. Dès le 25 juin, au lendemain de la séance royale, ils s’assemblaient rue Dauphine, dans le local du Musée de Paris, et depuis le 28 juin, ils s’étaient transportés à l’Hôtel-de-Ville même, dans la Grande Salle. Ainsi se constituait, par la force révolutionnaire spontanée de Paris et avant même toute loi municipale, une sorte de municipalité parisienne, fonctionnant à côté des anciens pouvoirs de la Ville. Ainsi l’action bourgeoise et populaire, répandue et vibrante dans tout Paris par les multiples assemblées de district, était en même temps concentrée à l’Hôtel-de-Ville par l’assemblée générale des électeurs. Aux 407 électeurs du Tiers-État s’étaient joints quelques prêtres et quelques nobles.

Dès le 30 juin, l’assemblée des électeurs avait eu à s’intéresser dans le mouvement de l’affaire de l’Abbaye ; le 6 juillet, par une députation à l’Assemblée nationale, elle rendait compte de son action dans ces graves événements : « La fermentation était extrême au Palais-Royal ; elle prenait les mêmes caractères parmi plus de deux mille citoyens qui assistaient à nos délibérations ; la nuit s’avançait, le peuple s’animait, nous prîmes un arrêté qui ramena les esprits en les frappant par des idées justes ; nous y déclarions qu’il n’était pas permis de douter de la justice du souverain ; qu’aussitôt que les prisonniers seraient réintégrés, vingt-quatre électeurs se transporteraient à Versailles, solliciter… la nuit ne s’était pas encore écoulée et déjà les pri-