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HISTOIRE SOCIALISTE

effet et la porte s’ouvrira bien un jour, mais quand ils ne seront plus « des mendiants », quand ils auront une propriété à eux, je veux dire une idée, quand ils porteront dans leur esprit la formule d’un monde nouveau, quand ils seront des paysans socialistes.

Pendant que se développaient ainsi dans les campagnes les conséquences du 14 juillet, l’Assemblée nationale cherchait pour ainsi dire l’équilibre dans sa victoire.

Elle était à la fois sauvée, enthousiaste et inquiète. Necker était rappelé. Le Roi accompagné d’une députation de l’Assemblée avait dû se rendre à Paris le 16 juillet : et on avait beau essayer de séparer le Roi « de ses conseillers pervers », et lui ménager un accueil triomphal : c’était la visite du vaincu aux vainqueurs.

Paris grandissait bien vite. Et l’Assemblée sentait monter une puissance amie et rivale. Elle se groupait un peu nerveusement autour du roi, cherchant à oublier elle-même, pour les faire oublier à la France, les fautes criminelles de Louis XVI. Étrange et gênante solidarité de l’Assemblée révolutionnaire et du roi d’ancien régime, mal converti par la force du peuple au régime nouveau ! Des désordres éclatèrent à Saint-Germain ; les barrières d’octroi sont forcées, et le fermier Thomassin, accusé d’accaparement, est en péril de mort. Aussitôt les modérés de l’Assemblée, sur la motion de Lally-Tollendal, proposent une adresse à la Nation contre les fauteurs de désordre, adresse qui, par son exagération même, était de nature à semer la panique et à aggraver le péril. De plus, le mouvement de Saint-Germain était comme une suite du grand mouvement de Paris : n’allait-on pas désavouer, par un procédé oblique, le magnifique dévouement révolutionnaire de la capitale ?

Les députés bretons protestèrent, et Robespierre, dont ce fut, je crois, la première intervention, protesta aussi. Il dévoila tout de suite le péril que le modérantisme conservateur ferait courir à la Révolution, enveloppée encore de bien des intrigues et des haines. « Il faut aimer la paix, mais aussi il faut aimer la liberté. Mais y a-t-il rien de plus légitime que de se soulever contre une conjuration horrible formée pour perdre la nation ? L’émeute a été occasionnée à Poissy sous prétexte d’accaparement ; la Bretagne est en paix, les provinces sont tranquilles ; la proclamation y répandrait l’alarme et ferait perdre la confiance. Ne faisons rien avec précipitation ; qui vous a dit que les ennemis de l’État seront encore dégoûtés de l’intrigue ? »

Ce qui dès maintenant fait la force de Robespierre et l’assurera longtemps, c’est que voulant la Révolution, il en accepte les conséquences et les conditions, et ne s’émeut pas ou sottement ou hypocritement des désordres que la résistance armée à l’arbitraire royal propageait nécessairement.

L’Assemblée rejeta la motion de Lally-Tollendal, mais un moment elle l’avait applaudie, et ces oscillations révèlent que si elle avait grand besoin du peuple, elle commençait aussi à en avoir peur. Mais ces passagères inquié-