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Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/288

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HISTOIRE SOCIALISTE

tudes n’arrêtaient pas encore son élan, et c’est avec une magnifique confiance en la raison qu’elle aborda d’emblée l’élaboration des Droits de l’homme, préface de la Constitution.

Elle était toute entière à ce haut et noble travail, quand les premières nouvelles du soulèvement des campagnes lui parvinrent. Elle apprit de toutes parts, dans les derniers jours de juillet et les premiers jours d’août, que les paysans, devançant ou dépassant même par leur action spontanée les décisions du législateur, refusaient le paiement des impôts les plus odieux, comme celui de la gabelle, et des droits féodaux, cens, champart, etc. Ils pénétraient armés dans les châteaux, et, s’abstenant de toute violence contre les personnes, saisissaient et brûlaient les vieux parchemins, les titres anciens ou nouveaux d’exploitation féodale. C’était l’abolition violente de tout le système féodal. C’était la grande révolution paysanne s’accomplissant en dehors des formes légales et de la volonté du législateur.

L’émoi fut grand dans l’Assemblée : on eût dit qu’elle hésitait à aborder en face le problème de la féodalité. Elle sentait que souvent la distinction serait difficile à faire entre la propriété féodale et la propriété bourgeoise, qu’abolir par exemple tel droit censuel régulièrement acquis par contrat, c’était toucher au principe même du contrat, forme légale et garantie de la propriété bourgeoise elle-même. C’est pourquoi la bourgeoisie révolutionnaire avait adouci et amorti autant qu’elle l’avait pu, dans la rédaction générale des cahiers de bailliage, la véhémente revendication paysanne.

Laissée à elle-même, l’Assemblée se fût bornée probablement à détruire les privilèges d’impôt et à abolir la servitude personnelle. Pour l’ensemble des redevances féodales, elle eût tout au plus institué un système de rachat facultatif et à long terme. Le rude mouvement paysan l’acculait. Il fallait ou bien organiser dans toute l’étendue des campagnes une répression bien difficile et bien dangereuse, ou céder à l’élan des paysans révoltés.

Les premières motions qui lui furent faites étaient toutes de répression. Dans la séance du 3 août, Salomon, au nom du Comité des rapports, poussa au noir le tableau : « Par des lettres émanées des provinces, il paraît que les propriétés, de quelque nature quelles soient, sont la proie du plus coupable brigandage ; de tous les côtés les châteaux sont brûlés, les couvents sont détruits, les fermes abandonnées au pillage. Les impôts, les redevances seigneuriales, tout est détruit. Les lois sont sans force, les magistrats sans autorité, la justice n’est plus qu’un fantôme qu’on cherche en vain dans les tribunaux. »

Vraiment, le Comité sonnait le tocsin de la peur. Et il propose à l’Assemblée l’arrêté suivant : « L’Assemblée nationale, informée que le payement des rentes, dîmes, impôts, cens, redevances seigneuriales, est obstinément refusé ; que les habitants des paroisses se réunissent et témoignent dans des actes l’engagement de ces refus et que ceux qui ne veulent pas s’y soumettre sont exposés aux menaces les plus effrayantes et éprouvent de mauvais traite-