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HISTOIRE SOCIALISTE

droits féodaux, le rachat obligatoire des autres. Et, d’autre part, le véhément orateur des paysans acceptait lui aussi l’idée du rachat. N’y avait-il pas accord des paysans et des seigneurs ?

De plus, par cette sorte d’acceptation réciproque du rachat, le principe du contrat était respecté ; les bourgeois, détenteurs de certaines rentes foncières féodales, ne risquaient point d’être expropriés sans indemnité, et le système féodal pouvait disparaître sans que les bases de la propriété bourgeoise fussent ébranlées. De là l’enthousiasme soudain de l’Assemblée, il lui semblait qu’elle allait éteindre tous les feux de guerre sociale allumés dans les campagnes sans exaspérer les seigneurs, sans mécontenter les paysans, sans compromettre la bourgeoisie.

Dans cet entraînement joyeux, il y avait certainement une noble part d’esprit de sacrifice, et quand les nobles s’empressèrent de renoncer à leurs privilèges d’impôt et à leur droit exclusif de chasse, quand les prêtres firent l’abandon des dîmes, quand les villes et les provinces vinrent sacrifier à la grande unité française leurs privilèges et leurs coutumes, une joie fraternelle haussa un moment les cœurs au-dessus du médiocre niveau de la vie. Mais ces mouvements sincères de sensibilité n’auraient pu se produire, si les solutions entrevues n’avaient apparu à tous les ordres comme la garantie commune des intérêts. »

La noblesse était protégée contre l’expropriation brutale ; et à l’abri des lois de rachat, elle pourrait conserver indéfiniment ses droits, si le paysan ne les pouvait racheter, ou les convertir en une belle indemnité. Et le Tiers-État n’était plus obligé de prendre parti entre le droit strict de propriété, que l’intérêt même de la bourgeoisie l’obligeait à défendre, et la force révolutionnaire des paysans.

Le plus exposé, en cette nuit du 4 août, ce fut le clergé ; il lui était difficile de ne pas abandonner, comme la noblesse, les droits féodaux qu’il percevait comme propriétaire, il lui était difficile aussi de ne pas accepter le rachat de la dîme. Mais, pour le clergé, le rachat soulevait une question très délicate. Il ne possédait que sous condition ; tandis que les droits féodaux étaient la propriété individuelle et absolue des nobles, la dîme n’était perçue par l’Église qu’à la condition qu’elle assurât le service du culte.

Il était donc impossible de laisser à la disposition du bénéficiaire le capital qui aurait servi à racheter les dîmes. C’eût été convertir en propriété individuelle et absolue de chaque prêtre ce qui avait été jusque-là la propriété du corps ecclésiastique, soumise à des charges déterminées. Le clergé le sentait bien, car lorsque l’évêque de Nancy, dans la nuit du 4 août manda le rachat pour les fonds ecclésiastiques, il ajouta : « Et je demande que le rachat ne tourne pas au profit des seigneurs ecclésiastiques, mais qu’il en soit fait des placements utiles pour l’indigence. »

Seulement, si la propriété ecclésiastique n’avait pas le même caractère