priété directe, de beaucoup la plus importante, les décrets du 4 août, mis en forme le 6, n’y touchaient pas.
Donc, même si les droits féodaux des nobles avaient tous été abolis sans indemnité, leur richesse territoriale n’aurait subi qu’une assez faible diminution. Des calculs contemporains, assez incertains d’ailleurs, évaluent à 120 millions par an l’ensemble des redevances féodales. Or, si le revenu net total de la France agricole est évalué à plus de deux milliards, et si la noblesse en possède un cinquième ou un quart, les décrets du 4 août portent à peu près sur 20 ou 25 pour 100 du revenu agraire des nobles. C’est considérable, mais même après cette opération, la fortune de la noblesse et sa puissance économique sont loin d’être abolies.
J’entends dire quelquefois : « La noblesse a eu sa nuit du 4 août, il faudra que la bourgeoisie ait la sienne. » Cette analogie est trompeuse : la Révolution communiste et prolétarienne sera beaucoup plus vaste et beaucoup plus profonde que la Révolution de propriété du 4 août 1789.
Elle ne portera pas sur une portion de la puissance économique de la bourgeoisie. Elle s’appliquera à tout le système capitaliste de la production et de l’échange : elle sera donc beaucoup plus étendue. En outre, elle exigera du prolétariat un effort nouveau de pensée, le déploiement de facultés nouvelles, il devra organiser sur un mode nouveau la production et la répartition. Il devra assumer dans l’ordre du travail des fonctions directrices qu’il n’exerce point aujourd’hui.
Au contraire, le paysan, libéré du cens, de la dîme, du champart n’avait point à innover, il continuait à travailler son champ comme auparavant, il était seulement affranchi d’une obligation, d’une servitude et d’une dette. Qu’est-ce à dire ? C’est qu’il faudra au prolétariat, pour entrer en possession de l’ordre communiste et en assurer le fonctionnement, une préparation économique et intellectuelle supérieure à celle du paysan propriétaire de 1789.
Est-ce à dire que l’abolition du système féodal ait été un fait historique médiocre ? Bien au contraire. Non seulement les paysans, au bout de quelques années, furent libérés de charges parfois très lourdes, mais ils cessèrent pour ainsi dire de vivre dans l’ombre de la puissance seigneuriale, et une démocratie paysanne put surgir, dont le grand rôle se développera dans la suite de cette histoire.
Mais en fait, le régime féodal fut-il aboli par les décrets du 4 août ? Directement et immédiatement, non ; mais logiquement et à brève échéance, oui. Les paysans ne comprirent et ne retinrent que la première phrase du décret : L’assemblée abolit entièrement le régime féodal. Elle leur apparut comme la consécration légale de leur soulèvement révolutionnaire et, à partir de ce jour, ils estimèrent décidément qu’ils ne devaient plus rien aux seigneurs. En vain l’Assemblée avait-elle prévu le rachat de la plupart des droits féodaux, et décidé que les redevances continueraient à être payées jusqu’à leur