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HISTOIRE SOCIALISTE

rait sanctionner aisément ces lois de duperie. L’Assemblée, dont nous avons vu déjà les hésitations à supprimer effectivement la propriété féodale se laissa aller à applaudir la réponse du Roi. Le peuple des campagnes pouvait se demander : Qui trompe-t-on ? Et en tout cas le peuple de Paris commençait à être inquiet de la marche incertaine de l’Assemblée. Depuis le 14 juillet il y avait comme une crise profonde à l’Assemblée nationale. La Noblesse et le Clergé, qui en formaient près de la moitié, s’étaient aperçus qu’au lieu de se livrer à de dangereuses et impuissantes tentatives de coup d’État ils n’avaient qu’à se servir habilement de leur force légale, pour amortir les effets de la Révolution. Les modérés, comme Malouet, Mounier en s’unissant à la droite, pouvaient livrer l’Assemblée à une sorte de modérantisme qui aurait désarmé la force révolutionnaire. Déjà, pendant les mois d’août et de septembre, les trois questions vitales avaient été longuement débattues. L’Assemblée serait-elle permanente ? Le Corps législatif serait-il divisé en deux Chambres ? Le Roi pourrait-il opposer aux décisions du législateur un veto absolu ? Si l’Assemblée avait décidé qu’elle ne serait point permanente, mais que le Roi convoquerait les États-généraux irrégulièrement et selon les besoins, si elle avait décidé qu’une seconde Chambre, asile et centre de l’aristocratie, partagerait le pouvoir avec les élus de la nation, si elle avait, en outre, donné au Roi le droit de refuser indéfiniment sa sanction aux décisions du Corps législatif, et de faire ainsi échec à la volonté légale de la France, que restait-il de la Révolution ? Ces trois mesures combinées n’en laisseraient subsister qu’une ombre, et les grandes forces sociales du passé, l’Église et la Féodalité, auraient bientôt tourné en dérision une Révolution ainsi ligottée.

On pouvait donc tenter contre la Révolution une sorte de coup d’État législatif plus dangereux que le coup d’État militaire, parce qu’il aurait eu l’apparence de la loi et qu’il aurait enchaîné la France par la volonté même de ses élus.

A coup sûr, le sens révolutionnaire de la bourgeoisie la mettait en garde contre cette abdication totale : et le bas clergé, malgré l’inquiétude et le malaise dont les projets qui menaçaient vaguement l’Église commençaient à le pénétrer, n’aurait pas accepté non plus d’être livré à discrétion aux grands prélats rancuneux. Dans la noblesse même, une minorité assez forte voulait reconquérir la popularité. Il semblait donc impossible qu’en août et septembre, presque au lendemain de la victoire commune du peuple et de l’Assemblée, un mouvement de recul se produisît.

Pourtant, c’est au nom du Comité de Constitution, c’est-à-dire en quelque façon au nom de l’Assemblée elle-même, que Lally Tolendal et Mounier, dans la séance du 31 août proposent un plan de Constitution extrêmement conservateur. Ce sont les grandes influences modératrices de la royauté et de la propriété qui vont primer toutes les autres. Sans doute ils